Us – Jordan Peele

Adelaïde Wilson a un mari et deux enfants, elle est aimante, gentille et protectrice. Son mari lui propose de partir en week-end à Santa Cruz. Arrivés sur place, ils retrouvent leurs amis, et se déclenche alors une série de coïncidences qui font resurgir les démons du passé d’Adelaïde. Le soir venu, leur allée accueille 4 personnes qui leur ressemblent en tous points. Ou presque.

Us traite de sujets divers et variés et à vrai dire, on ne sait pas vraiment ce qu’on va voir quand on entre dans la salle de cinéma. La bande-annonce montre finalement peu de choses et la plupart de mes contacts m’avaient juste dit : « c’est le nouveau film du type de Get Out, ça a l’air étrange ». Alors, j’y suis allée. Sans à priori et sans crainte.

Annoncé comme un film Universal produit par Bloomhouse (toujours, décidément ils sont dans toutes les combines!), je me suis dit qu’il y aurait sûrement plus de classicisme cette fois, puisque la surprise de Get Out était passée. Que Nenni.

Et toi, tu veux suivre le Lapin Blanc ?

Le film démarre sur un plan de plus en plus large sur des dizaines de clapiers, renfermant tous, des lapins blancs. La musique est d’entrée de jeu entêtante et étrange (sorte de mélange improbable de voix, de sons et de rythmes africains, on se croirait tantôt dans une église, tantôt dans une cérémonie vaudou. Signé Michael Abels, déjà présent pour Get Out), dans les 10 premières secondes je me suis dit que j’allais sans doute ne pas voir du tout ce à quoi je m’attendais. J’avais raison.

Adelaïde est une maman afro-américaine classique, introvertie, d’une classe moyenne, deux enfants, un mari extraverti et aimant. Sa fille surfe sur son téléphone et son jeune fils a l’air passionné par les loup-garous, dont il porte un masque très souvent. Un jour, Papa décide de les emmener retrouver les Tyler, leurs amis (collègue de bureau) qui ont eux-mêmes deux filles, à Santa Cruz. Adelaïde se retrouve instantanément dans son propre passé, et commence à paniquer. Il s’avère qu’elle s’est perdue dans un palais de glace étant petite et qu’elle en a été traumatisée. Son mari la rassure et ils partent vers la jolie ville balnéaire. En arrivant sur la plage, Adelaïde semble déjà inquiète, et elle ne cesse de voir des signes ici et là, se remémorant ses expériences passées. Le soir venu et chacun de retour dans sa propre demeure, le soleil se couche et quelque chose se profile dans l’allée. Il y a 4 silhouettes là-bas. Et on dirait que ce sont eux, enfin « nous ». Et ils entrent.

Us parle de la peur de l’étranger, avec un relent non dissimulé de plusieurs œuvres majeures et non coordonnées du cinéma américain. Si Jordan Peele affirme avoir pris des références à ses films préférés (Dead again, Shining, Deux sœurs, Les oiseaux…), la partie visible de l’iceberg fait penser à un mix improbable entre Alice au pays des merveilles, Funny games ou encore Peter Pan. Le film fait directement référence à notre propre identité et montre une dimension ésotérique, à l’instar de son prédécesseur qui était plutôt orienté sur le racisme ambiant résiduel de la société américaine. Ici, on nous met face à notre double maléfique, le fameux jumeau que tout le monde a quelque part dans le monde, ou celui qui se cache en nous quand nous perpétrons (ou rêvons de le faire) des actes cruels ou sadiques, sans nous avouer que nous en étions la cause et non les circonstances ou les autres. Cette dualité existe partout le 11:11, les personnages, les jumelles Tyler, les ciseaux… Il y a aussi une scène de danse assez épique qui montre deux solos issus de Casse-Noisettes où la même danseuse fait à la fois la fée et le cavalier. Les mouvements « maléfiques » sont inspirés par L’Exorciste entre autres pour montrer des mouvements inversés plus que convaincants.

Plus le film avance, plus la plongée dans le terrier du lapin blanc apparaît et semble inévitable et presque vitale. La recherche de soi se poursuit dans le pays des merveilles et va finir dans une espèce d’apothéose portée par une musique toujours plus présente et étrange et un visuel étonnant. Par opposition à l’ensoleillement total de la Californie, il y a aussi, les tunnels. Et les lapins.

J’aimerais revenir sur la performance assez folle des acteurs, ils sont à la fois parfaits en famille afro-américaine modèle et absolument stupéfiants dans leurs rôles de doppelgängers maléfiques et dérangeants à souhait, mettant en scène leurs travers les plus atroces. On sait par exemple que les acteurs jouaient un jour leurs rôles « normaux », et le suivant, les reliés. L’infrastructure du tournage a dû être assez folle à gérer sachant que chaque scène a été répétée deux fois en n’omettant aucun détail sanglant ou non. Lupita Nyong’o (la fabuleuse Adelaïde) a déclaré : « J’ai eu l’impression de jouer 5 films. Jordan [Peele] m’avait prévenue, ce tournage m’a mise sur les genoux ! Cela dit, il jouait souvent le double qu’on ne filmait pas. C’était super parce qu’il avait des mimiques parfaites qui me permettaient de jouer en direct avec lui sans me référer sans cesse aux enregistrements de la veille ». C’est assez édifiant comme témoignage et on sent bien cette dualité peser tout le long du film et monter en intensité, même si certains aspects restent complètement incompréhensibles jusqu’à la toute fin (la chaîne humaine par exemple, ou encore la combinaison rouge).

Comme je m’y attendais, la réalisation est efficace et on a pas de temps morts. Certains diront que Peele est encore trop dans son délire un poil comique (il faisait partie du duo comique américain Key & Peele), d’autres pensent qu’il a mal géré les 3 actes qui semblent constituer le film. On m’a également fait remarquer le côté un peu lent du début, ainsi que le peu de montée en horreur pure du reste du film. C’est un point de vue. J’y ai vu une très bonne mise en ambiance, des références et des mises en abîmes dans le genre lynchien ou encore un épisode moderne de la twillight zone. Il a su doser quelque chose de plus subtil qu’un simple film gore inutile tout en intégrant un côté étrange, dérangeant et bizarrement enfantin, réveillant notre côté merveilleux de conte de fées. On ne peut raisonnablement pas sortir en demi-teintes de ce film.

Au fait, mais c’est quoi ce 11:11 ???

Jérémie 11:11 : « c’est pourquoi ainsi parle l’Éternel : Voici, je vais faire venir sur eux un mal duquel ils ne pourront plus sortir ; ils crieront vers moi, mais je ne les écouterai pas. ». A vrai dire, c’est exactement ça. Il y a une espèce d’allégorie du sacré qui traîne et je me suis même demandée si elle était consciente. La présence de certaines références est tout à fait visible et celle ci est très induite par la musique. Il n’empêche que le perso de Red, a tous pouvoirs de vie et/ou de mort (ou pas), sur les autres. Elle les guide et leur montre le chemin comme un messie. Elle les emmène vers le terrier du lapin blanc… elle est. L’analogie avec la phrase est assez stupéfiante dans son ensemble quand on pense aux nombreux dialogues avortés et aux non-dits tellement bien exécutés et compris par le spectateur. Si j’avais su ce que cette phrase signifiait avant de voir le film, nul doute que j’aurai encore plus vu de choses dans ce ballet étrange et délicieusement horrifique.

Et alors ? Et toi, tu suis le lapin blanc maintenant ?

US

écrit et réalisé par Jordan Peele

avec : Lupita Nyong’o, Winston Duke, Shahadi Wright-Joseph, Evan Alex

Universal Pictures

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