La petite princesse – Alfonso Cuaron

Sarah vit en Inde avec son père, colonel de l’infanterie britannique, à la veille de la Première Guerre Mondiale. Mobilisé, il laisse sa fille aux bons soins d’un pensionnat de New-York sensé lui apprendre les bonnes manières. Mais bientôt, le père de Sarah meurt dans les tranchées. Et le conte de fée va prendre l’apparence d’un cauchemar.

Avant 2012 et le phénomène Gravity, l’année 2006 a été marquée par la surprise totale suscitée par Les Fils de l’Homme, petit film de science-fiction à la réalisation renversante signée par un Mexicain quasi inconnu : Alfonso Cuaron. Quasi ? Pas tout à fait. Avec une honorable carrière cinématographique dans son pays, Cuaron a déjà signé aux US le troisième opus de la série Harry Potter (Harry Potter et le Prisonnier d’Azkaban en 2004), l’excellent drame romantique De grandes espérances et plus tôt encore ce Petite Princesse. Ce dernier constitue une vraie curiosité pour moi, puisque je n’en avais pas entendu parler avant de m’attarder sur Cuaron en détail.

Produit par Warner Bros Family, Petite Princesse est en fait l’adaptation du roman éponyme et par extension du dessin animé Princesse Sarah, anime japonais diffusé en 1987 en France (avec depuis de nombreuses redifs). Pour vivre un petit moment de nostalgie, je vous propose un tour vers Coucoucircus ou ce site dédié à princesse Sarah. Je vous laisse découvrir la genèse de la chose sur le site en question, notamment le roman dont toute cette histoire est tirée, pour m’attaquer au film de Cuaron.

Quelle surprise donc de découvrir Cuaron aux commandes de cette petite production, surtout quand on découvre que son complice, le directeur de la photographie Emmanuel Lubezki, est aussi de la partie. Autant dire que cette association m’annonçait déjà des plans sombres et avec un éclairage travaillé.

Autant le dire, mes présomptions ont tout de suite été confirmées. L’ambiance est probablement l’élément le plus travaillé de Petite Princesse, du fait de la diversité des environnements rencontrés. D’abord lumineuse et pleine de couleurs claires, la photographie va peu à peu trouver l’obscurité, la pluie, la neige, un basculement qui traduit bien évidemment la tragédie vécue par l’héroïne.

Dans cette deuxième partie, on peut déceler une pointe d’influence Burton dans l’approche du duo Cuaron/Lubezki. Du point de vue visuel, le baroque domine, transcendant les décors à l’ambiance XIXe siècle. Les environnements, comme ce pensionnat fantasmé où domine le vert (une couleur qui me semble revenir beaucoup chez le réalisateur mexicain) et la chambre de bonne de Sarah, plutôt en mode glauque, baroque et sombre, infestée de souris, dégagent toute une ambiance digne du réalisateur de Edward aux Mains d’Argent. Cette dernière pièce, avec ses fenêtres surdimensionnées et ces jeux d’éclairage, reproduit à merveille l’essence du modèle évoqué.

Le basculement dans les couleurs du film s’appuie sur le scénario, conçu en trois temps : d’abord les joies et les peines d’une enfant d’une dizaine d’années avec leurs doses nécessaires de rêves et d’amitié. Ensuite, la fin de l’enfance et le retour brutal à la réalité pour Sarah après la mort de son père. Et enfin, le mélange des deux dans une troisième partie synthétique.

En effet, Petite princesse commence comme un rêve, entre Inde fantasmée et vie idyllique pour la jeune Sarah. Il en est de même quand la jeune fille arrive au pensionnat : les rues sont claires, presque chaleureuses, et le dit pensionnat n’a rien de terrifiant. Tout juste peut-on noter la sévérité de sa propriétaire et directrice Miss Minchin (Eleanor Bron). Cuaron prend alors le parti de nous montrer un film pour enfants sans jamais sombrer dans le nian-nian où l’humour pipi-caca. Sarah vit, se fait des amies comme des ennemies, commet quelques bêtises et se fait parfois punir pour cela. D’un autre côté, elle a un statut privilégié puisque son père pare à tous ses besoins, lui permet d’avoir la meilleure chambre du pensionnat etc.

Pourtant, on sent déjà poindre par ci par là quelques pistes sur ce qui va arriver par la suite : la servante de la maison est une petite fille noire que Miss Minchin héberge « gracieusement ». La dite directrice se montre également très près de ses sous et avide. Elle va devenir peu à peu la figure négative du film.

Mais celui-ci va d’abord connaître un virage à cent quatre-vingt degrés avec les scènes rattachées au père de Sarah, le Capitaine Crewe (Liam Cunningham, vu  dans Le vent se lève de Ken Loach, et surtout dans Games of Thrones où il incarne Davos). Ce dernier se trouve dans les tranchées françaises alors que la première guerre mondiale fait rage. Et même si Petite princesse est un film pour toute la famille, Cuaron n’a pas du tout renoncé à nous montrer les combats.

Quelle surprise donc de découvrir, entre deux séquences amusantes avec les enfants, plusieurs scènes dans les tranchées. Le premier plan s’ouvre sur un cheval parcourant une tranchée boueuse et couverte de cadavre, jusqu’à ce que l’animal croise le capitaine à la recherche de camarades en vie. Des gaz tombent ça et là alors que le bon Crewe tente de sortir un de ses soldats agonisants pour le sauver. La séquence guerrière se termine abruptement, laissant le père comme son ami morts près d’un char éventré. Vision apocalyptique, sans espoir, soutenue par une chorale discrète mais émouvante. Filmées au plus proche pour cacher probablement le manque de moyens, les scènes ont une belle intensité et marquent une véritable rupture avec le ton du film jusque-là. Petite princesse se révèle bien moins lisse et sage que dans sa première partie.

La mort du père de Sarah entraine un changement brusque dans sa vie : ruinée, sans famille, elle a le choix entre rejoindre la rue ou accepter la proposition de Miss Minchin de devenir servante dans le pensionnat. Elle quitte sa belle chambre et rejoint les combes où l’attend une mansarde sombre habitée par les rats, dans un univers gothique rappelant Tim Burton. Et surtout, elle va devoir travailler dur sous les railleries de certaines de ses anciennes camarades.

La patte technique, en particulier la photographie, va alors changer pour un visuel plus sombre : il ne cesse de pleuvoir, de neiger, les scènes dans la chambre de bonne ont lieu de nuit, dans un environnement beaucoup plus sinistre. Il y a donc basculement dans le ton et dans la forme, mais on reste dans un monde d’enfants, un monde qui semble passionner Alfonso Cuaron, car il en fait le cœur de son scénario.

En effet, le film s’articule au cours des séquences où la jeune Sarah raconte une histoire de prince charmant qui se déroule en Inde. Grâce à cela, elle fascine ses amies et s’évade peu à peu de son présent traumatisant. Mais plus la vie devient difficile pour Sarah, plus elle semble s’acharner sur elle, moins elle prend le temps de rêver, enfermée qu’elle est dans ce grenier sordide qui lui sert de chambre. Cuaron avance alors l’idée qu’un enfant ne doit pas perdre ce goût du rêve, qu’il doit pouvoir les vivre, et c’est exactement ce qui va se passer grâce à Ram Dass (Errol Sitahal).

Dans chaque film de Cuaron, un personnage à part vient se glisser et apporter une touche complètement décalée dans le récit. Ce décalage a parfois une inspiration magique ou des « pouvoirs » spéciaux, c’est le cas de ce Ram Dass. Serviteur du Lord qui vit en face de la pension, Ram Dass a tout les attributs du prince indien toujours souriant, coloré, mais aussi mystérieux. Il va, à chaque fois que Sarah va le croiser, apporter un peu de magie dans sa vie devenue triste, lui permettant de continuer à rêver, à espérer. Ce qui, à terme, la sauvera.

Alors bien sûr, ces passages imaginaires/réels ne sont pas toujours réussis par la faute d’un horrible manque de moyens qui a forcé Cuaron a faire des plans 3D digne des séries télés années 1990. Pardon de la comparaison, mais je n’ai pas pire en tête sur le moment.

Toutefois, la pilule passe bien grâce au naturel désarmant des enfants. On comprend très rapidement pourquoi Cuaron a été choisi pour le troisième Potter : il parvient à mettre les enfants à l’aise, et il en résulte qu’ils paraissent s’amuser. Cela reste un film pour toute la famille, et la petite héroïne comme ses camarades (parmi lesquelles on trouve par exemple Camille Belle) sont toujours en mouvement, sincères, vivants.

Une autre pierre à apporter à l’édifice est la chouette BO signée Patrick Doyle. S’il retrouve la gravité toute shakespearienne de ses collaborations avec Brannagh lorsqu’il évoque les tranchées, il sait également illuminer le monde des enfants grâce au thème principal, chanté (Kindle of my heart) ou aux nombreuses sonorités indiennes qui peuplent l’ensemble du score. Une belle réussite.

Conclusion

C’est un vrai coup de cœur pour ce film très discret. Si on ne peut clairement pas crier au génie, Alfonso Cuaron évite les sentiers battus, impose ses mimiques, et réussit à rendre intéressant, presque parfois poignant un film pour toute la famille. La magie s’impose, on en demandait pas plus…

La Petite Princesse

Réalisé par Alfonso Cuaron

Avec Liesel Matthews, Eleanor Bron, Liam Cuningham, Camille Belle, Vincent Schiavelli

Warner Bros

Disponible en DVD

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