Revival – Stephen King

« Bon, tu sais ce qu’on dit, Jamie : l’enfer est pavé de bonnes intentions. Il a réfléchi un moment et a ajouté : et de lumières électriques. Ça l’a fait rire et j’ai ri avec lui, même si j’avais pas compris la blague. S’il s’agissait d’une blague. »

Nous sommes en 1962. Le petit Jamie Morton est en train de jouer dans le jardin. Soudain, une ombre vient s’étendre sur lui : c’est celle du tout jeune révérend Charles Jacobs venu saluer ses parents. Un homme animé par une foi qui paraît indéfectible et qui très vite sait se faire apprécier de tous. Qui bricole des jouets électriques, comme s’il était capable de faire des miracles. Qui grâce à une de ses inventions parvient à rendre à Connie, le grand frère de Jamie, la voix qu’il avait perdue suite à un accident. Mais, hélas, tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, car un autre accident survient, au cours duquel Charles Jacobs perd sa femme et son enfant. Dès lors, sa foi se fissure, et, pire encore, se retourne comme un gant. Un prêche flamboyant, au cours duquel éclateront tous ces doutes que nul ne veut jamais s’avouer, choquera la communauté et entraînera son bannissement. Nul ne le reverra jamais. Jamais ? Non, car l’ombre du révérend qui s’est étendue sur le petit Jamie ne le quittera plus.

« Nous venons d’un mystère et c’est vers un mystère que nous repartons. Peut-être bien qu’il y a quelque chose là-bas, mais je fais le pari que ce n’est le Dieu d’aucune Église. »

Devenu adulte, guitariste de profession, toxicomane par extension, Jamie file un mauvais coton. Sans travail, éjecté de son groupe en raison d’un manque chronique de fiabilité, il découvre par hasard, sur une foire où il cherche un dealer, l’étrange attraction d’un bonimenteur électrique, les « portraits à la foudre ». Et reconnaît, médusé, le révérend transformé en bonimenteur, manipulant les foules à moitié abruties. Mais le révérend, qui lui aussi reconnaît Jamie, n’est pas seulement un escroc. Sa maîtrise de ce qu’il nomme « l’électricité secrète » lui permet de débarrasser le guitariste de son addiction. Puis de l’employer un moment, avant de le recommander à l’un de ses amis pour un travail de musicien et de contremaître. Un nouvel employeur dont Jamie découvrira qu’il a été lui aussi guéri par l’ancien révérend. Mais cet employeur, tout comme Jamie, est victime de phénomènes étranges et véritablement terrifiants.

Ces quelques éléments ne sont que le début d’un récit qui s’étend sur plusieurs décennies, depuis la petite enfance de Jamie jusqu’à la fin de son existence. La biographie continue de Jamie, mais aussi la biographie parallèle et discontinue de Charles Jacobs recréée d’après les discours, les entretiens, les investigations des uns et des autres, et surtout les rencontres itératives entre les deux hommes. Avec son art particulier du réalisme et du détail, avec une maîtrise parfaite de la narration, même lorsqu’il va à rebours de la chronologie par le biais des récits intriqués, Stephen King brosse ces deux trajectoires sans temps mort, et qui plus est orchestre une croissance permanente de la tension jusqu’à un final passablement abominable.

S’il se réfère un peu à lui-même – établissant une passerelle avec son précédent roman « Joyland », s’il se réfère également aux grands classiques – Ray Bradbury (qu’il cite nommément) pour ses univers forains, le « Frankenstein » de Mary Shelley, les univers lovecraftiens avec le « De Vermis Mysteriis » de Ludwig Prinn, Stephen King manipule ces références avec discrétion, ne les utilisant que pour construire une intrigue dans son univers avant tout réaliste, nourri par les mille et un détails de la famille, du travail, des amis, des aventures sentimentales.

En 1981, Stephen King avait publié une nouvelle passablement sinistre, « The Jaunt », traduite en français sous le titre « L’excursion » dans le volume « Brume » en 1985. Ce récit bref mettait en avant une problématique de taille : une avancée technologique si formidable qu’elle en semblait fabuleuse, mais susceptible d’entraîner des effets indésirables proches de l’abomination. C’est là toute la thématique de cette « énergie secrète » grâce à laquelle le pasteur Jacobs guérit ses ouailles. On est aux marges de la science, on a affaire à quelque chose que l’on ne maîtrise jamais tout à fait. Il y a le revers de la médaille – ou, plus précisément, le revers du miracle. Le tout est de savoir poser justement le pour et le contre, le tout est de parvenir à évaluer les risques et les bénéfices. Et l’addition pourrait bien, comme le veut la loi du genre, être terriblement salée.

« Je n’avais pas envie de savoir ce qu’elle avait vu quand l’électricité secrète de Charlie s’était engouffrée dans les confins les plus reculés de son cerveau. Je ne tenais pas à savoir ce qui attendait derrière la porte dérobée dont elle avait parlé. »

Dans la trajectoire de ce pasteur vibrant d’une foi électrique et basculant, après un drame personnel qu’il n’est pas prêt à reconnaître comme une plaisanterie métaphysique, dans le doute et l’invective anticléricale, se dessine un tableau à la fois poignant et éternel –  le drame de mille et une fois perdues et reniées. Il y a, dans l’existence de cet individu qui tout au long des décennies suivantes ne fera que se consacrer à ses recherches, que s’éloigner de la foi pour feindre d’y revenir, bien plus d’un morceau de bravoure. La manière dont Stephen King parvient à peindre, parfois en creux, parfois à travers ses mises en scène, l’émergence d’une foi frelatée, malhonnête, manipulatrice – le lecteur ne sera pas prêt d’oublier son grand show de faiseur de miracles – renforce pleinement l’ambiguïté éthique de ce personnage plus grand que nature qui peut parfois apparaître comme un monstre mais qui persiste à aider son prochain, et qui estime, à tort ou à raison, que tout progrès nécessite des sacrifices. Un personnage qui est aussi l’archétype du savant et du dilettante qui finit par perdre tout sens de la mesure, et, animé par une ambition prométhéenne, par s’attaquer à des puissances qui de très loin le dépassent.

S’il atteint les cinq cent trente pages, « Revival »ne souffre pas de ces longueurs ou de ces déséquilibres qui affectent d’autres romans de l’auteur. Homogène, cohérent, prenant, jalonné de trouvailles (il est difficile de ne pas apprécier, par exemple comment le narrateur se retrouve à entrer dans la demeure fatidique avec sur son siège arrière une énorme citrouille, ou comment le passé vient sans cesse s’inviter dans l’intrigue), « Revival », traversé ici et là par des visions à la Jérôme Bosch, fait frémir plus d’une fois. Un très bon King, donc, qui, fidèle à sa veine à la fois fantastique et réaliste, vient enrichir une bibliographie déjà importante d’un épais roman de plus – un roman parcouru par une électricité secrète qui devrait également faire vibrer ses lecteurs.

Stephen King
Revival
Traduction par Oceane Bies et Nadine Gassie
Couverture : Tal Goretsky / Brett Maurer / Getty Images
Le Livre de Poche

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