Confessions d’un elfe fumeur de lotus – Raphaël Albert

« J’étais à présent – mais savais-je encore discerner le présent du passé ? – un seigneur déchu qui cherchait à ranimer une vie ancienne et morte depuis trop longtemps, en lui insufflant son haleine de lotus dans les poumons. Un arpenteur de rêves boiteux claudiquant sur les sentiers d’antan. »

À Panam, dans le Paris steampunk inventé par Raphaël Albert, dont les lecteurs ne verront dans ce roman rien d’autre que l’intérieur d’une fumerie de lotus, Sylvo Sylvain rêve, dort, dérive, se souvient. S’il est à présent échoué dans le monde hideux des hommes, c’est en raison d’une faute terrible qu’il a lui-même commise dans le monde des elfes. Un héros déchu dont on comprendra qu’il était appelé à un destin dont il n’a pas été digne. C’est donc l’histoire du monde des elfes et le récit de ce drame que racontent ces « Confessions d’un elfe fumeur de lotus. »

Un titre qui n’évoque pas pour rien les « Confessions d’un mangeur d’opium anglais » de Thomas de Quincey, récit d’une jeunesse miséreuse hantée par la perte d’une jeune fille que de Quincey ne retrouvera jamais. Sans rien omettre, mais sans jamais faire oublier au lecteur qu’il gît sur la paillasse d’une fumerie, Sylvo Sylvain narre sa jeunesse dans le monde merveilleux et parfois dangereux des elfes. Le souvenir peut- être embelli, souvent contemplatif – il ne se passe pas grand-chose dans les deux cents premières pages – d’une vie champêtre, bucolique, pastorale et surtout sylvestre, car l’univers des elfes n’est autre que la Grande Forêt, alias la Toujours Verte, à laquelle l’auteur rend hommage avec des formules à la Ursula Le Guin. Dans cette forêt primordiale, loin de Panam et des hommes, peuplée d’une faune riche de pumas, de loups, de lynx, mais aussi de créatures merveilleuses, les elfes, en compagnie de pillywiggins ou pillys, des créatures intelligentes et volantes qui sont pour eux des compagnons, comme des fées minuscules, mènent une existence agréable, mais pas entièrement dépourvue de dangers. Une existence collective qui sera décrite à loisir avant que celle de Sylvo Sylvain ne bascule dans le drame.

« Le Chant et le dernier baiser de Frax m’avaient glissé un gros morceau de Toujours-Verte dans le cœur, et je me sentais de taille à affronter l’hostilité promise du monde des humains. J’ignorais ce qui m’attendait. »

L’ouvrage – on le regrette –  souffre de plusieurs défauts objectifs qu’il est impossible de passer sous silence. Le premier est la récurrence des fautes d’accord (« Ma couche même est une cavité peu profond et juste à ma taille », « Des cris de joie salue la chute », « Millie, qui avait disparue », « un val oblongue », « je veux rouvrir la fenêtre, n’y parvient pas »…), trop nombreuses pour paraître simplement anecdotiques : une relecture aurait été nécessaire. Le second tient dans la construction de l’univers dont les détails apparaissent à mesure, de manière purement linéaire, comme s’ils n’avaient pas d’existence en dehors des péripéties. D’où l’aspect bien peu convaincant de ce monde, dont les éléments donnent une impression perpétuelle de « Deus ex machina », parfois même au mépris de la chronologie : ainsi, l’arrivé si tardive du récit de Mélios au sujet de son existence passée chez les humains, alors qu’il vit avec les elfes depuis des cycles et des cycles, n’a absolument rien de crédible (ne parlons pas de la confusion entre feuille de papier et feuille d’arbre). Le troisième est une évidente difficulté à nourrir les 380 pages du volume (288 en grand format) qui se traduit par d’indiscutables longueurs. Enfin, les quelques allusions historiques au monde des humains (les années 1793, l’appareil photographique) pourront peut-être parler aux familiers de l’univers steampunk des précédents romans mais apparaîtront aux autres comme peu cohérents.

Sur le plan de l’écriture, l’auteur a fait le choix de la simplicité, façon récit populaire, pour une lecture plaisante : narration au présent, beaucoup de dialogues, style fluide, vocabulaire courant. Les amateurs de lexique qui ne sont pas familiarisés avec les sciences naturelles feront néanmoins moisson de termes moins fréquents (paruline, arille, avénule, callune…), distillés par l’auteur avec suffisamment de parcimonie pour ne pas rebuter les allergiques aux dictionnaires, et la simplicité du style n’empêchera pas l’auteur d’insuffler à son récit quelques accents mythiques, comme dans la partie consacrée à la chute de la géante. Le lecteur a droit à l’habituelle profusion de noms propres imagés et composites, que ce soit de personnes ou de lieux, qui font partie des accessoires habituels du conte avec son inévitable surabondance de majuscules. Pas de véritable chapitrage, mais une alternance de passage nommés en fonction des cycles du pays elfique, Saison Jaune, Saison Verte, Grand Soleil. Les amateurs du genre verront se succéder, peut-être de manière un peu mécanique pour certains, comme sur le carrousel obligé des conventions et des codes, les figures classiques de la fantasy comme les gobelins, dryades, faunes, licornes, mais aussi des entités moins attendues telles que les horlas.

« Que ne suis-je mort avant vous tous, rattrapé par le manque, terrassé par le vertige ? Sevré de la Forêt et de sa chanson, mon ultime rempart, j’aurais dépéri. »

Les lecteurs des deux premiers romans de Raphaël Albert, « Rue Farfadet » et « Avant le déluge » ne retrouveront donc pas dans ces « Confessions d’un elfe fumeur de lotus » ces récits d’investigation dont ils avaient l’habitude, mais un retour sur le passé de Sylvo Sylvain et sur les circonstances dramatiques qui l’ont conduit à Panam. Introduction au monde des elfes, prélude à l’existence humaine de Sylvo Sylvain, ces « Confessions d’un elfe fumeur de lotus » pourraient donc être désignées par le terme fort en vogue, et passablement hideux, de préquelle. Voyons-y plutôt la description d’un monde frontalier destiné à renforcer et à nourrir les romans précédents, à montrer qu’il existe une vie en dehors de Panam, une vie riche et un univers merveilleux. Ultime regret à ce sujet, la carte géographique, mentionnée dans les remerciements, n’a pas survécu au passage du grand format à la version poche.

Confessions d’un elfe fumeur de lotus
Raphaël Albert
Illustration de couverture : Aurélien Police
Editions Mnémos collection Hélios

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