Aphrodite et vieilles dentelles – K. Brunk Holmqvist

 

 

Ce sont deux vieilles filles plutôt sympathiques, deux sœurs âgées et qui s’entendent à merveille, filles du forgeron d’un petit village, vivant dans la petite maison familiale dépourvue de tout confort. Tilda, soixante-dix-neuf ans, et Elida, soixante-douze ans, vivotent tant bien que mal, entre plaisirs minuscules et petites tâches quotidiennes. Toilettes extérieures, pas d’eau courante : elles vont chercher l’eau dans le puits du voisin. La même vie depuis des décennies, sans jamais le moindre évènement notable.

Mais voilà que leur voisin vend, et que son nouveau propriétaire, qui l’utilise cette demeure comme maison de campagne, s’installe à sa place. Révolution et angoisse chez les deux sœurs : auront-elles toujours l’autorisation d’aller puiser de l’eau dans son pré ? Avar Klemens, leur nouveau voisin, se révèle infiniment sympathique : il les invite, leur rend visite, les complimente sur leurs maigres possessions. Peu à peu, les deux vieilles filles se remettent à considérer le monde extérieur. Elles ne sont ni bêtes ni obtuses, et dotées d’un sens de l’observation considérable. Le comportement sexuel d’un chat du voisinage, puis d’un lapin de garenne, après qu’ils aient mangé les plantes de Klemens, n’échappe pas à leur attention. Avec quelle miraculeuse substance Klemens arrose-t-il ces plantes ?

Les voilà donc qui enquêtent, et, de question désinvolte en question désinvolte, arrachent à leur innocent voisin, qui n’a jamais remarqué l’effet miraculeux de son engrais, sa recette fabuleuse. Reproduisant le composé, les deux vielles filles ne résistent pas à l’idée de gagner clandestinement un peu d’argent, qui leur permettrait de rendre leur vieille maison plus confortable. Les voilà donc en train de monter dans leur minuscule demeure un laboratoire clandestin d’aphrodisiaques, et de mettre au point, par l’intermédiaire d’une boîte postale, un fort juteux système de vente par correspondance.

On s’en doute : tout n’ira pas toujours comme sur des roulettes, sans compter que l’un des acheteurs n’est autre que leur propre frère, qui convoite leur maison et est prêt à tout pour la récupérer. Si un deux retournements vaudevillesques sont prévisibles, la plupart sont inattendus et parfaitement efficaces. Les personnages sont croqués avec soin, les rapports de voisinage décrits de manière particulièrement sensible, et l’auteur déroule son histoire sans jamais quitter les rails du presque vraisemblable. De burlesque en cocasse, on s’amuse beaucoup. Une chose est sûre : après avoir lu « Aphrodite et vieilles dentelles », le lecteur ne pourra plus croiser deux petites vieilles sans sourire ni entrer dans un bureau de poste sans avoir envie de s’esclaffer

Difficile de ne pas penser, avec ces deux vieilles filles qui, après des décennies de semi-existence, redécouvrent peu à peu le monde extérieur et se lancent dans un business à la fois douteux et juteux, au « Gang des dentiers » et à sa suite, « Comment braquer une banque sans perdre son dentier » de Catharina Ingelman Sundberg, une compatriote de K. Brunk Holmqvist. Si le titre, parfaitement bien trouvé par la traductrice Carine Bruy, évoque le fameux « Arsenic et vieilles dentelles » de Frank Capra (1941), d’après la pièce éponyme de Joseph Kesselring, cette histoire de K. Brunk Holmqvist n’est pas réellement un polar ou une comédie criminelle. Pour autant, elle reste en marge du genre, car l’on se doute que le frère infâme – qui au final se révélera si infâme que cela -, dans son désir de récupérer la vieille maison familiale, est à deux doigts de nourrir des pensées homicides.

Avec « Aphrodite et vieilles dentelles », les éditions Mirobole continuent donc d’explorer les marges littéraires, à la fois géographiques et de genres. Parallèlement au polar pur (Inger Wolf), à la science-fiction pure (Anna Starobinets), au fantastique moderne (Anders Fager), au fantastique poétique (Michal Ajvaz), et à côté des comédies zombies (S.G. Browne) ou des polars humoristiques (Rita Falk, Alper Canigüz), voilà donc une comédie rafraîchissante et pleine d’imagination. En tout cas, avec « Aphrodite et vieilles dentelles », on sourit souvent, on rit beaucoup, et l’on se dit que « Colza mécanique », un autre ouvrage du même auteur, à la frontière entre comédie et science-fiction, qui arrive en ce moment sur les tables des libraires, mérite sans doute lui aussi d’être lu.

 

K. Brunk Holmqvist

Aphrodite et vieilles dentelles

Traduit du suédois par Carine Bruy

Couverture : Pirina / Sloth Astronaut / Shutterstock

Editions J’ai Lu (édition originale : Mirobole, 2016)

 

Les éditions Mirobole sur eMaginarock :

 

« Choucroute maudite » par Rita Falk

http://www.emaginarock.fr/choucroute-maudite-rita-falk/

« L’Agence secrète » par Alper Caniguz

http://www.emaginarock.fr/lagence-secrete-alper-caniguz/

« Psychiko » de Paul Nirvanas :

http://www.emaginarock.fr/psychiko-paul-nirvanas/

« L’Autre ville » de Michal Ajvaz :

http://www.emaginarock.fr/lautre-ville-michel-ajvaz/

« Les Furies de Boras » d’Anders Fager :

http://www.emaginarock.fr/les-furies-de-boras-anders-fager/

«  Je suis la reine et autres histoires inquiétantes » d’Anna Starobinets :

http://www.emaginarock.fr/je-suis-la-reine-et-autres-histoires-inquietantes-anna-starobinets/

« Le Vivant » d’Anna Starobinets

http://www.emaginarock.fr/le-vivant-anna-starobinets/

« Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère, et retrouvé l’amour » de S. G. Browne :

http://www.emaginarock.fr/comment-jai-cuisine-mon-pere-ma-mere-et-retrouve-lamour-s-g-browne/

« Noir septembre » d’Inger Wolf :

http://www.emaginarock.fr/noir-septembre-inger-wolf-2/

« Avenue Nationale » par Jaroslav Rudis

http://www.emaginarock.fr/avenue-nationale-jaroslav-rudis/

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