Californium – ARTE Creative

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Californium est un jeu de type point-and-click créé par Brice Roy pour ARTE Creative. Il est sorti en 4 épisodes à partir du 16 février 2016, et est depuis disponible en intégrale. Le site : http://californium.arte.tv/fr/

Résumé de l’éditeur :

Le jeu Californium est un volet d’une programmation ARTE consacrée au maître de la Science-fiction, Philip k Dick. De nombreuses œuvres ont été adaptées pour le cinéma dont, les plus connues, Blade Runner, Minority Report ou Total Recall.

Une lettre d’amour à Philip K. Dick

Californium est une invitation à explorer et approfondir les notions traitées par Philip K. Dick. Mort depuis 30 ans, l’écrivain américain de science-fiction est plus vivant que jamais dans notre monde quotidien. De nombreuses visions et inventions technologiques imaginées par lui se sont réalisées et nous questionnent toujours autant sur la notion de la réalité, notre rapport humain et à la science.

Jouer avec la réalité

Californium n’est pas une nouvelle adaptation d’un roman de K Dick mais bien un hommage à l’auteur mythique et prophétique. Trois éléments sont présents d’une manière récurrente dans son œuvre – personnages paranoïaques, mondes qui déraillent et entités manipulatrices – et sont retranscrit dans une expérience de jeu originale.

« Devenir fou est parfois une réponse appropriée à la réalité. »

Narration, Game Play, Direction Artistique, un équilibre adéquat a été trouvé grâce à un travail colossal d’itération et de prototypage.

Le contre pied graphique

Loin des ambiances noires des films comme Blade Runner, Californium fait le pari de proposer un univers coloré et crayonné, créant petit à petit une sorte de patchwork sous acide. Cette intention graphique est une nouveauté dans un jeu vidéo et rompt ainsi avec les adaptations existantes de K. Dick.

« La mauvaise science-fiction passe son temps à prédire; la bonne science-fiction donne l’impression de prédire. »

Californium a été développé en lien avec le documentaire « Les mondes de Philip K. Dick », une plongée dans la vie et les écrits de l’extraordinaire écrivain de science-fiction, par Yann Coquart et Ariel Kyrou. A voir ici en replay ou VOD.

Le trailer du jeu :

 

Pourquoi ai-je joué à ce jeu ?

Grande amatrice des écrits de Philip K. Dick et des films tirés de ses œuvres, cette adaptation libre de ses univers ne pouvait que me plaire. Je suis également férue de jeux de type point-and-click, et particulièrement ceux réalisés dans une perspective artistique non réaliste. Ma curiosité a donc aussi été piquée par son esthétique singulière.

 

De quoi parle Californium ?

Le jeu est divisé en quatre épisodes, un par semaine, ce qui a créé un effet d’attente plutôt addictif :

Épisode 1 : « Un écrivain à la page désespérément blanche »

Berkeley, 1967. Vous êtes Elvin Green, un écrivain dont la carrière – comme la vie sentimentale – est au point mort. Trop d’acide, d’alcool bon marché, de nuits blanches à lutter contre la page blanche ? Votre précaire santé mentale bascule. Cette cauchemardesque réalité est instable, vous pouvez y échapper et ainsi faire le pari d’un autre monde, d’une autre réalité. Qu’avez-vous à perdre ?

Épisode 2 : « Seriez-vous sujet à une instabilité existentielle ? »

Si ce monde dans lequel vous venez de plonger est la réalité, il n’en est que plus inquiétant. Votre ville est maintenant la capitale ultra patriotique d’une République de Californie dystopique. Les hippies défoncés ont laissé la place à des agents spéciaux, rouages d’une société sous surveillance globale.

Épisode 3 : « Un cas fascinant d’ambition inassouvie »

Une catastrophe nucléaire a laissé la Terre en ruines. Martian Minds, votre roman, s’est révélé une œuvre majeure, anticipant les progrès technologiques qui ont permis la colonisation et l’exploitation de Mars. Les seuls humains survivants sont ceux qui, sur la planète rouge, travaillent pour votre Consortium.

Épisode 4 : « Des univers bien au-delà de votre compréhension »

Plus aucun repère, tout ce qui faisait jusqu’ici votre réalité, qui structurait votre existence, n’est plus qu’un gigantesque chaos.

Vous vous trouvez donc dans la peau d’Elvin, écrivain qui doit rendre son manuscrit à son éditeur. On notera la mise en abyme de l’auteur qui peut ressembler à Philip K. Dick lui-même (en 1967, Dick avait 39 ans). Il s’agit d’un travail de commande, et les délais sont de plus en plus difficiles à tenir ! Par ailleurs, Elvin est très affecté par la mort de sa fille, Alice, et par son récent divorce.

Au début du jeu, vous êtes au-dessus de la machine à écrire d’Elvin, à son bureau, dans son appartement. Vous explorez les lieux, et apprenez que, pour tenir, l’écrivain se drogue. Il est fatigué, sa perception est altérée. Alors que vous parcourez le petit monde d’Elvin (i.e. son appartement, la rue autour, quelques commerces et autres appartements), vous détectez des anomalies et entrez dans un multivers, croisement entre la réalité de l’écrivain, ses désirs d’être humain (revoir sa fille, sa femme, devenir célèbre), et sa propre création littéraire. Nous basculons ainsi dans une uchronie dans laquelle l’histoire américaine est revue et corrigée, où le rêve américain des années 1960 bascule dans un cauchemar éveillé, où le soleil californien n’est plus si lumineux à mesure que la dystopie se construit.

Les thématiques abordées :

– le rêve américain incarné par la Californie (palmiers, rues larges, soleil cuisant), où tout est possible, où les personnages peuvent devenir qui ils veulent.
– les années 1960 avec des objets ou des lieux qui nous évoquent cette période (Cadillac, dinner avec juke-box, marchand de disques vinyles, frigo, néons des enseignes, garage et pompe à essence, etc.)
– le patriotisme, avec une modification de l’histoire américaine et ses dérives totalitaires
– l’influence des drogues qui contribuent à la perte des repères
– l’écriture, autofiction de l’écrivain, processus de création, avec ses rêves de gloire, de reconnaissance, l’inconfort financier
– la perte, avec la séparation (divorce) et le deuil (Alice passée de l’autre côté du miroir)

Mon avis :

Question jouabilité, nous sommes plutôt dans quelque chose de simple, voire basique. L’action se déroule en mode subjectif, du point de vue de l’écrivain. Les principes récurrents du jeu sont simples : utiliser la machine à écrire en début d’épisode, explorer les lieux, cliquer sur les éléments du décor qui paraissent suspects, et une fois qu’on les a saisis, sa durée totale s’élève à environ trois heures. Mais joue-t-on à Californium pour sa jouabilité ? Sinon plutôt pour s’enfoncer dans ce qui nous plaît dans l’univers de Philip K. Dick ?

Côté esthétique, chaque épisode propose sa propre gamme colorée. Les couleurs sont crues, tranchées, et forment le plus souvent des associations de couleurs secondaires, comme une vision du monde sous acide. Ce procédé rappelle la série Les Experts, dans laquelle les couleurs changent en fonction des villes. Les modifications de couleurs dans Californium permettent de marquer la progression temporelle dans la dystopie, mais aussi l’enfermement du héros dans sa propre création. Les décors et les personnages sont dessinés au trait, avec des effets 3D uniquement dans les déplacements ou lorsqu’il s’agit de contourner des obstacles.

Californium couleurs

Ce que j’ai aimé dans ce jeu, ce sont les perceptions changeantes des objets et des lieux, lesquelles deviennent une métaphore du monde, et nous parlent de l’influence subjective de celui qui regarde le décor. « C’est le regardeur qui fait le tableau » avait dit Marcel Duchamp.

Côté sonorisation, la musique s’adapte parfaitement aux différents lieux traversés, et devient de plus en plus immersive à mesure que le jeu avance. Les bruitages restent sobres, à l’image des actions menées par le héros, mais permettent d’obtenir des indices pour progresser dans le jeu. L’écrivain reste muet au cours de son aventure, mais deux types de voix sont présentes : celles des personnages qu’il interroge (choix multiples de questions, comme dans un RPG), celles des voix off (celle de son mystérieux guide, et celle de sa fille Alice.)

Les interactions entre l’écrivain et les personnages qu’il rencontre ne servent qu’à nous faire découvrir l’univers, mais sans que cela ait de réel impact sur la recherche du héros. Ce dernier est interpellé par une voix off masculine, sorte d’alter ego schizophrène, qui le raille en permanence et le guide dans son propre multivers, pour son salut autant que pour sa perte.

De part son parti-pris esthétique et son ton volontairement verbeux (conversations longues entre les personnages), l’ensemble évoque A Scanner Darkly (2006) réalisé par Richard Linklater d’après le roman éponyme (Substance mort, en français) de Philip K. Dick.

En conclusion…

Californium m’a offert une promenade agréable et étrange dans l’univers de Philip K. Dick, à la frontière entre rêve américain, dystopie et délire paranoïaque.

Pour qui ?

Pour les fans de Philip K. Dick curieux de découvrir une interprétation de son œuvre, ou ceux qui souhaitent tout simplement s’y promener, les amateurs de jeux en ligne de type point-and-click, de jeux d’énigmes téléguidés avec des univers graphiques dessinés de type BD ou illustration.

À déconseiller à qui ?

Aux inconditionnels des jeux d’action non verbeux, à ceux qui aiment les résolutions d’énigmes difficiles, et les jeux fleuves dont la durée dépasse la dizaine d’heures.

Californium
Brice Roy
ARTE Creative

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