Psychiko – Paul Nirvanas

psychiko [500 x 500]« Dans cet univers empli de chimères, il rêvait de se signaler et de se couvrir de gloire, de la même façon que les jeunes gens de son âge ambitionnent de se distinguer dans le monde réel. »

Une jeune fille est retrouvée morte dans un terrain vague, mais la police ne parvient ni à l’identifier, ni à retrouver son assassin. Nikos Molochantis, un jeune oisif perdu dans les divertissements faciles et la lecture sans fin des faits divers, conçoit à leur lecture un bien étrange projet : devenir célèbre en faisant en sorte que ce crime lui soit attribué, puis revenir à la vie normale, auréolé d’une gloire nouvelle en tant que victime d’une erreur judiciaire.

« Ainsi, les frontières entre la fiction et la réalité s’étaient peu à peu brouillées dans son esprit de sorte que, souvent, il n’arrivait pas à savoir lui-même s’il était un personnage de cinéma ou un homme de chair et d’os. »

Dès lors, le jeune homme se prend à son propre jeu. Pour rendre sa fable crédible, il part dans des rêveries où il se met lui-même en scène comme étant l’assassin. Peu à peu, les détails se multiplient, s’affinent. S’il avait commis lui-même le crime, les choses ne lui apparaîtraient guère plus réelles. Il se met à se comporter comme il imagine que se comporterait l’assassin, et, à force d’allusions et d’indices fabriqués de toutes pièces, fait en sorte de susciter autour de lui les soupçons, sans véritablement y parvenir.

C’est dans un de ses très rares moments de lucidité, alors qu’il réalise la folie de sa machination et s’apprête à faire marche arrière, que tout dérape. Avec humour, Paul Nirvanas fait coïncider avec ce retrait avorté la mise en branle inexorable de la fatalité et de la machine judiciaire. Un après un, les alibis que s’était constitués le jeune homme disparaissent. Et sa très étrange ligne de défense – il aurait volontairement cherché à se faire accuser de ce crime qu’il n’aurait pas commis – est considéré par la justice comme totalement ridicule. « Ascenseur pour l’échafaud », entre autres exemples, l’avait démontré : les plans les plus soigneusement ourdis sont bien souvent des pièges imparables que l’on se tend à soi-même. La naïveté n’est pas seule en cause : la loi de Murphy, la fatalité du grain de sable, la complexité irréductible du réel font qu’il est impossible de tout prévoir.

« Les yeux du crâne jetaient des lueurs fantasmagoriques sur les corps enchevêtrés des jeunes femmes, répandant, dans le vacillement mystérieux des ombres, un frisson d’amour et de mort. »

Nikos Molochantis devient donc une star. Son stratagème a donc fonctionné mieux et différemment que prévu. Les photographies avantageuses qu’il avait fait faire de lui-même avant son incarcération sont reprises dans la presse. La jeunesse folle de la capitale – toutes ces jeunes filles elles aussi oisives, elles aussi au cerveau trop vide pour ne pas être instantanément occupé par les superficialités et les faits divers – lui voue un véritable culte. La plus riche de ces jeunes femmes rêve même de l’épouser. La prison serait donc infiniment douce au jeune homme s’il n’était bientôt condamné à mort. Mais s’il était par miracle innocenté, toutes ces jeunes femmes, il s’en rend compte, ne lui pardonneraient peut-être jamais de ne pas être un véritable assassin.

« Psychiko », s’il dénonce bien les travers inquiétants d’adultes jeunes que rien ne porte à considérer comme fondamentalement asociaux ou mentalement malades, ne manque donc pas d’humour. C’est avec une ironie quelque peu voltairienne que Paul Nirvanas met en lumière, sous le masque du récit policier teinté de comédie, des travers sociétaux et des dérives mentales que les décennies suivantes viendront confirmer : une jeunesse oisive au cerveau creux, la fascination morbide pour les assassins, le phénomène des jeunes femmes qui deviennent de véritables adoratrices de serial killers comme d’autres sont « fans « d’acteurs ou de rock stars, la folie de « murderabilia » et autre phénomènes profondément inquiétants.

S’il a été publié initialement en feuilleton en 1928, « Psychiko » n’a donc pas vraiment vieilli. Outre son intérêt historique pour le genre – il représente l’aube du roman policier hellénique – ce roman de tout juste deux cents pages est à la fois percutant et concis. Sur le plan de l’intrigue, si l’on peut émettre une réserve sur l’apparition dans les tous derniers chapitre, un peu comme un « Deus ex machina », de la photographie de la victime, force est d’admettre que cet aspect théâtral s’accorde bien avec le roman et que tout est ficelé, sans aucun temps mort, avec une astuce digne des très bons polars. Une intéressante trouvaille, donc, à mettre au crédit des éditions Mirobole qui, aussi bien dans le domaine du roman policier que dans celui du fantastique, tracent depuis quelques années un chemin singulier.
Psychiko
Paul Nirvanas
Traduit du grec par Loïc Marcou
Couverture : J.R. Bale / Guillian
Editions Mirobole

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