La Fille-flûte Paolo Bacigalupi

Fille flûte [500 x 500]« La fille-flûte » décrit un futur aristocratique où les différences entre classes sociales sont à tel point caricaturales que les individus plus fortunés ont bien plus que le droit de vie et de mort sur leurs sujets. Deux jeunes filles sont ainsi être élevées, transformées, opérées pour n’être rien d’autre que des objets, le « clou du spectacle » donné par de prétendus artistes. Récit remarquable par sa construction, par sa violence perpétuellement larvée, par ses aspects doucereux, par les fenêtres qu’il ouvre discrètement sur un avenir immonde, « La Fille-flûte » sous des allures futuristes, distille un décadentisme morbide très fin-de-siècle.

Dans « Peuple de sable et de poussière », Bacigalupi met en scène une poignée d’hommes de main chargé d’assassiner tout ce qui bouge dans un territoire dont les ressources minières dont exploitées par une multinationale. Dans cet environnement de mort et de robots, ils capturent une créature pour eux inconnue : un chien. Une nouvelle très forte et particulièrement âpre ou l’animal, comme le temps d’un rêve, réveille ce qu’il peut y avoir encore d’humain chez les hommes.

Même humanité dans le bouleversant « Groupe d’intervention » mettant en scène un agent du pouvoir dans un monde futur où les progrès biotechnologiques ont été tels que la reproduction biologique, devenue inutile, est aussi interdite. Le narrateur fait partie des groupes d’intervention qui, partout, traque les femmes qui, au mépris des lois et de la logique, s’obstinent à enfanter. Ces femmes, il les emprisonne, et ces enfants, il les abat. Mais sa détermination, minée par son incompréhension grandissante, finit par sa fissurer.

« Du Dharma plein les poches » brosse le tableau d’une ville chinoise en pleine métamorphose, où bâtisses futuristes et architectures vivantes s’élèvent au-dessus des bicoques branlantes et de la plus noire misère, et où un cube-mémoire contenant l’esprit du Dalaï-lama tombe en possession d’un adolescent famélique. Une nouvelle dont la thématique et la densité n’est pas sans évoquer les réussites du recueil « Gravé sur chrome » de William Gibson.

« Le Pasho » met en scène de manière transparente (l’environnement décrit, le texte saint que se nomme le Quran ) la facette noire et rétrograde de l’islam avec son refus de toute évolution, son mépris absolu pour l’autre et la glorification du massacre de populations entières. Sans manichéisme mais sans finesse particulière, « le Pasho » donne l’impression d’enfoncer des portes largement ouvertes et laisse assez froid concernant un problème auquel l’on est confronté quotidiennement depuis des décennies, que ce soit par l’actualité internationale ou au coin de sa rue.

« L’homme des calories » traite de la pénurie alimentaire et des manipulations génétiques des semences, rendues à la fois plus productives et stériles, dans un futur proche où la mainmise des multinationales est devenue absolue. Dénonciation transparente de ce qui se passe depuis plusieurs décennies dans ce domaine, « L’homme des calories » ne surprend donc pas plus que « Le Pasho » et vaut surtout par le panorama que fait Bacigalupi de ce monde futur, et par la mince note d’espoir qu’il finit par donner.

Même thématique de pénurie pour « « Le chasseur de tamaris », mais c’est de l’eau dont il s’agit cette fois-ci. Dans une Californie dévastée par la sécheresse, un employé chargé d’éradiquer les tamaris qui au long des cours d’eau pompent l’essentiel de l’eau en replante secrètement. Une manière pour l’auteur de dresser un tableau per-apocalyptique dans lequel les guerres de de l’eau, sous forme larvée, ne se font pas entre pays mais au sein d’un état lui-même.

Belle force d’évocation pour « Le Yellow card », tranche de vie de quelques jours d’un ancien armateur parvenu au faîte de la richesse qui, dans un monde en rapide métamorphose, se retrouve simple immigré au royaume thaïlandais, réduit à chercher un emploi misérable. Un texte qui convainc par l’univers décrit et dans lequel on voit apparaître la fameuse « fille automate » d’un précédent roman de l’auteur.

On passera rapidement sur l’avant dernier récit, « Plus doux encore », nouvelle hors-genre assez anecdotique mettant en scène la dérive d’un individu qui, il ne le sait trop pourquoi lui-même, tue sa femme et s’enfuit au Mexique, pour terminer avec « La Pompe six », remarquable mise en scène d’un futur proche où la technologie tourne en roue libre : les connaissances peu à peu se perdent, les machines tombent en panne les unes après les autres, une nouvelle espèce, qui ressemble à des humains dégénérés, les trogs, apparaît dans les villes, des sortes de doux idiots ne songeant qu’à se reproduire, à l’évidence avenir et symbole d’une humanité qui ne songe guère qu’à faire la fête dans un monde en déliquescence. Un récit à la fois noir et doux-amer qui atteint parfaitement son but.

Ce recueil de Paolo Bacigalupi, avec plusieurs récits remarquables, de ceux que l’on voit régulièrement ressurgir dans les anthologies, se situe donc au-dessus du lot. La richesse de son écriture, son goût des détails et la cohérence des mondes décrits donne à ses récits moins marquants une densité qui leur permet néanmoins de happer le lecteur. Refusant les effets de chute classique, aimant, après des approches parfois indirectes, terminer ses récits comme en suspens, sur le fil du rasoir, Bacigalupi explore, souvent avec une profonde noirceur, mais aussi avec un sentiment très aigu de l’humanité, les facettes possibles de ce futur douteux dans lequel nous sommes en train de nous engouffrer.

La Fille flûte
Paolo Bacigalupi
Traductions de Sara Doke, Julien Bétan, Sébastien Bonnet, Laurent Queyssi et Claire Kreutzberger
Couverture : Aurélien Police
Editions J’ai lu

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