Decline and Fall of an Empire – L’Hérésie d’Horus – Warhammer 40.000

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Si je me suis amusé à pasticher en sous-titre l’ouvrage fondateur du célèbre historien Edward Gibbons, c’est que la structure narrative de l’Hérésie d’Horus, se situant dans le très riche univers de Warhammer 40.000, s’inspire largement (et librement) des évènements qui ont amené à la chute de l’Empire Romain d’Occident, au Vème siècle de notre ère. Pensés comme des « Chroniques », les différents ouvrages qui composent la série enrichissent considérablement la mythologie déjà très complexe de l’univers Space-Op de Games Workshop, en revenant sur la génèse du plus grand conflit qu’a connu l’Humanité : l’Hérésie de l’Architraître Horus Lupercal.

A l’heure où Games Workshop tente de remonter la pente en multipliant les approches plurimédias de leurs licence phares, et suite au renouvellement  du background de Warhammer en ayant précipité la Fin des Temps dans le Vieux monde pour laisser place à Age of Sigmar, la célèbre firme britannique mise sur un retour dans le temps pour sa franchise S.F : Warhammer 40K. En lançant une gamme permettant de rejouer les batailles de l’Hérésie d’Horus, au 31ème millénaire, soit 10.000 années avant les évènements du background d’origine, elle réserve un traitement inverse à celui opéré sur sa cousine. Car si une ellipse vers l’avant est courante, c’est moins vrai pour son contraire. Et c’est aussi bien plus risqué. Mais c’est sans compter la qualité des écrivains de la série l’Hérésie d’Horus, qui recèle des trésors de références culturelles et aux multiples niveaux de lecture.

Pour resituer un peu le contexte à ceux qui n’auraient jamais touché cet univers, Warhammer 40.000 est un wargames crée en 1987 par Rick Priestley, et conçu pour être une extension futuriste de l’univers de Warhammer Fantasy Battle. Il met en scène un univers dystopique de Science fantasy, dans lequel les humains, au 41ème millénaire, peinent à maintenir leur hégémonie sur la galaxie et se voient constamment menacés d’annihilation par les différentes factions qui se disputent la possession de la galaxie. Dirigé par un Empereur qui n’est plus qu’un corps pourrissant sur un Trône d’Or, les humains ne sont plus fédérés que par le culte fanatique qu’ils lui vouent. Le dernier rempart de cet empire en décomposition réside dans l’inépuisable réserve d’hommes que constitue les armées impériales, et surtout, dans la maîtrise guerrière de ses Chapitres Space Marines : des guerriers génétiquement modifiés par l’Empereur lorsqu’il foulait encore la terre des hommes. Dans la mythologie de Wh40k, la raison de la lente déliquescence de l’Empire est directement liée à ces guerriers surhumains. Ils sont à la fois le seul espoir de l’Humanité et son plus gros danger. Plus de dix millénaires avant l’époque du jeu de plateau, l’Empire humain était à son apogée, et menait une grande Croisade de conquête à travers les Étoiles, emmenés par le puissant Empereur et ses vingt Fils, les Primarques, des êtres parfaits crées génétiquement par le Maître de l’Humanité pour être ses généraux. Mais, après avoir été corrompu par les Puissances de la Ruine, les divinités du Chaos, son fils favori, Horus, le Maître de Guerre, finit par se rebeller contre son père. S’ensuit alors une guerre fratricide entre les différentes légions Space Marines. Son point d’orgue verra l’affrontement d’Horus et de l’Empereur,  et se concluera par la mort du premier et l’enchâssement du second dans le Trône d’Or, blessé à mort. Ainsi s’achève, le  rêve d’Hégémonie de l’Humanité. Ainsi s’achève l’évènement connu comme l’Hérésie d’Horus…

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… Et commence la série littéraire de la Black Library. Portés par des auteurs tels que Dan Abnett et Graham McNeill, elle a connu un grand succès parmi les fans et même au-delà, au point de pousser Games Workshop à créer des figurines permettant de rejouer les batailles décrites dans les Romans. Et je dois bien avouer que si je suis habituellement méfiant envers les dérivés de licences, ici, le succès est amplement mérité. Car les auteurs de la Black Library ne se contentent pas bêtement de coller aux évènements, et si la forme est celle de batailles épiques, ils offrent aussi au lecteur un fond d’une incroyable profondeur pour qui veut creuser. En prenant pour prétexte le récit du devenir d’une des Légions de Space Marines, qu’elle soit Hérétique ou Loyaliste, James Swallow, Dan Abnett et les autres utilisent avec brio l’univers fictionnel qui est mis à leur disposition pour développer des thématiques secondaires variées qui résonnent étrangement avec l’actualité, voire notre propre passé.

De fait, le background de base de Warhammer 40.000 est sombre, et met en scène des factions au motivations ambiguës, pour ne pas dire amorales. L’Imperium humain est rongé par le fanatisme et la xénophobie et  se montre prompt à l’annihilation totale de planètes entières pour des détails triviaux. Les Eldars, emprunts de nostalgie d’une domination passée, sont prêts à sacrifier des centaines de milliards d’êtres  des « jeunes races » pour sauver un seul des leurs…. Et il ne s’agit que des factions qui peuvent s’approcher le plus du “camps du bien”. En réalisant L’Hérésie d’Horus, l’équipe de la Black Library revient sur la genèse d’une telle noirceur, et en profite pour questionner le lecteur sur des sujets qui, dans notre monde, sont encore tabous. Centrer le récit sur l’Imperium (et donc, les humains), permet sans en avoir l’air de parler de notre propre Histoire. Outre les évidences onomastiques (c’est-à-dire les noms) déjà présentes dans le background, comme le fait de nommer les armées Space Marines des « Légions », faisant ainsi référence à l’Empire Romain, ou encore les influences de ces légions directement tirées de l’Histoire, Romaine pour les Ultramarines, Egyptienne pour les Thousand Sons, Gréco-Punique pour les Word Bearers, Scandinave pour les Space Wolves et j’en passe,  les auteurs s’amusent à placer dans la série une myriade de petits emprunts historiques qui raviront les amateurs et donnent une véritable cohérence à l’Univers. Mais surtout, en développant les caractères spécifiques des différentes légions, ils offrent un regard sur l’actualité que seul peut se permettre la fiction. Les Word Bearers sont des fanatiques religieux, c’est l’occasion de parler de perception de la croyance selon les différentes cultures. Les Spaces Wolves sont calqués sur les Vikings, et ont donc une culture de la littérature orale, alors abordons la question de la transmission de la mémoire. Ce sont ces thématiques secondaires qu’abordent régulièrement les auteurs de la Black Library, et qui amènent constamment le lecteur à s’interroger, s’il le souhaite, sur des préoccupations qui sont bien plus proche des nôtres qu’il n’y paraît.

La façon dont est menée la Grande Croisade impériale, par exemple, fait écho à la colonisation dans son pendant extrême. Les Xénos (dénomination générique par l’Imperium de tout ce qui n’est pas explicitement humain) sont exterminés au nom de l’Illumination, de même que les hommes et femmes qui auraient refusés la « Vérité Impériale ». C’est d’ailleurs sur ce point que s’ouvre le premier ouvrage de la série : Horus, encore à ce moment du côté de l’Empereur, se voit contraint de déclarer la guerre à une planète humaine refusant de rentrer dans le giron de l’Imperium. Lui et ses seconds s’interrogent alors sur le bien-fondé de leur action, et de leur raison d’être même : ils ont été engendrés pour faire la guerre, apporter la « lumière de l’Empereur », et protéger le genre humain. Des rôles qui se révèlent rapidement contradictoires lorsqu’ils doivent attaquer une planète humaine refusant l’Empereur. En proie au doute, ils se demandent s’il ne serait pas simplement possible de partir, et laisser cette planète se gouverner elle-même. Pourtant, ils écraseront tout de même l’opposition dans le sang, sans aucune pitié, obéissant aux ordres d’un Imperium totalitaire.

En filigrane dans les volumes apparaît aussi la question de la religion. En effet, à son accession au pouvoir, le premier geste de l’Empereur fut de détruire tous les cultes et de bannir toute religion afin de reléguer aux oubliettes les méfaits de l’obscurantisme. Cependant, par une ironie de l’Histoire comme on en voit souvent, l’homme qui voulut interdire les religions se verra devenir le Dieu du culte le plus intransigeant de la galaxie (si on excepte le Chaos).  C’est là qu’apparaît le génie de la nuance des écrivains de la saga. Car si le 41ème millénaire est clairement religieux, et que les instances impériales rivalisent d’excès fanatiques avec les séides des Puissances de la Ruine, l’avènement de l’Imperium, lui, vient de se voir imposé un athéisme strict. Présenté comme un progrès civilisationnel indéniable et indispensable à l’éveil de l’humanité, on croit sans mal au bien-fondé de la mesure quand on a en tête les frasques génocidaires de l’Inquisition impériale du background original. Mais rien n’est jamais noir ou blanc dans la dystopie spatiale de Games Workshop. Si les exactions de la religion sont dénoncées avec force, il en va de même pour l’athéisme, lorsqu’il est élevé au rang de religion d’Etat. C’est ce que montre le prologue du Premier Hérétique d’Aaron Dembski-Bowden , qui s’ouvre sur la sanction d’une planète colonisée par les Word Bearers, légion connue dans les premiers temps pour son culte religieux voué à l’Empereur. Les habitants de ce monde, zélotes dévoués, verront leurs capitales annihilées par les Ultramarines sur ordre de Terra. Les questions s’enchaînent alors dans l’esprit du lecteur : certes, les Word Bearers sont de dangereux fanatiques, mais la planète, qui après tout n’a fait que suivre le modèle que leur a imposé leur conquérant (on voit poindre encore une fois une réflexion sur le colonialisme), doit-elle être tenue pour responsable ? Mérite-t-elle un châtiment si expéditif ?

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Le procédé est déjà intéressant dans ce roman, mais il est carrément transfiguré dans la nouvelle de McNeill, La Dernière Eglise, que vous pourrez trouver dans le recueil Chroniques de l’Hérésie. Elle met en scène Uriah Olathaire, le dernier prêtre de la dernière Église de Terra, en pleine controverse avec un inconnu sur le devenir de la religion. Outre les nombreuses références aux querelles théologiques qui déchirèrent l’Empire Romain entre Chrétiens et Polythéistes dans le courant du IVème-Vème siècle de notre ère, le récit utilise à merveille la fiction pour rappeler certains faits que nous avons aujourd’hui tendance à oublier : il est dans la nature humaine de se rattacher au spirituel dans les temps difficiles, spécialement les temps de guerre et de misère. Évitant l’écueil du mystique, les deux protagonistes débattent du point de vue de l’humain en tant qu’objet social, et rappellent que le Bien et le Mal sont des notions subjectives en constante friction. La religion en est finalement réduit à son aspect le plus primitif : une constante humaine immuable et  incontrôlable, qui varie au gré des époques et apporte autant de douleur que d’aide, tour à tour outil politique ou objet de cohésion social. Si vous avez l’occasion de la lire, même si vous ne prévoyez pas de dévorer ensuite la série, faites-le. Cette nouvelle, en plus d’être intelligente sur bien des points, est un des plus beaux arguments qu’il m’ait été donné de lire quant à la possibilité de la fiction de raconter notre société mieux que la réalité elle-même, ayant jeté à la poubelle les tabous sous l’égide de l’Imaginaire.

Enfin, un des aspects les plus surprenants de cette série, et ce qui fait toute sa richesse, c’est sa capacité à développer des sous-intrigues philosophiques au travers de ses personnages, à mille lieux de ce qu’on attendrait d’un roman remplis de Spaces Marines surarmés. C’est ainsi que, commençant l’ouvrage Prospero brûle de Dan Abnett, je réalise que le personnage principal est un archéologue. L’ouvrage traitant des Space Wolves, un chapitre réputé pour sa sauvagerie et calqué sur les Vikings fantasmés qui firent des incursions en Europe de l’Ouest du VIIIème au XIIIème siècle, je m’attendais à quelque chose de relativement bourrin, voire carrément violent. Et même si Abnett n’est pas avare de scènes de combat de belle facture, c’est véritablement sur l’archéologue que se centre le récit, et sur la transmission de la mémoire. Catapulté pour X raisons comme Scalde d’une des fratries de la Légion, on suit les réflexions de l’ancien chercheur, habitué au catalogage et à l’enregistrement des données, sur son passage à la maîtrise de l’histoire orale. Parallèlement, le lecteur est invité à explorer le passé du personnage, à l’époque où il exerçait en tant que Conservateur sur Terra. Et là, surprise ! C’est une véritable réflexion sur l’Histoire en tant qu’outil politique que nous offre Dan Abnett. Confronté à l’administration de l’Unité, l’administration de l’Empire, l’archéologue subit des pressions constantes de la part des autorités, qui souhaiteraient ne pas le voir diffuser des recherches qui pourraient contredire « La Vérité » Impériale. Le combat du personnage pour une Histoire libérée de toute contrainte politique et contre les institutions qui cherchent à la récupérer à leur compte en la travestissant, voire en en effaçant des pans entiers, est un combat que mènent aujourd’hui encore nombre d’archéologues et d’historiens à travers le monde.

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Je parie que vous ne vous attendiez pas à ça dans un roman à licence, centré qui plus est sur une faction connue pour être ultra-bourrine en termes d’approche de jeu. Et pour tout vous dire… Moi non plus. C’est typiquement ce qui fait la force de la série Horus Heresy. Loin de n’être qu’un produit destiné à rapporter plus d’argent en capitalisant sur le succès d’une licence, les romans qui la composent, bien qu’inégaux, ont un véritable respect du lecteur en leur proposant à la fois des combats dans un univers Space-Opera, et des thèmes secondaires très travaillés, qui invitent le lecteur à la réflexion sur des questions aussi diverses que le totalitarisme, la religion, l’histoire ou les nécessités politiques. En se montrant à la hauteur de ses ambitions, la série démontre avec force que la fiction est plus que jamais capable de faire réfléchir sur notre monde, et qu’elle ne mérite aucunement de se voir reléguée à une place de second rang dans la littérature, sous prétexte qu’elle est, justement, de la fiction.

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