C’est dans la vaste, très vaste saga du Commonwealth que vient s’inscrire « L’Abîme au-delà des rêves. » Pour qui n’a lu ni le cycle de Pandore ni celui du Vide, quelques éléments, rappelés au fil des premiers chapitres, permettent de prendre connaissance de cet univers brossé par Peter F. Hamilton. C’est grâce à la technologie des trous de ver que l’humanité, jusqu’alors assujettie aux limites de la vitesse de la lumière, a pu s’étendre à travers l’espace en fondant des centaines de colonies. Dans ces nouveaux mondes, elle a découvert des formes d’intelligence ennemies (un des sujets du cycle de Pandore) ou amicales, par exemple les Raïels. D’autres avancées technologiques majeures, quelques siècles plus tard, ont marqué des individus déjà capables de rajeunir et d’atteindre une longévité prodigieuse : les particules de Gaïa, qui permettent de communiquer sans aucun artefact technologique. Mais les humains, tout comme les Raïels, restent en échec face au Vide, une sorte de bulle aux dimensions cosmiques, impénétrable, sujette à des expansions incoercibles, avalant des pans entiers de la galaxie, et que les Raïels surveillent depuis des milliers d’années. De ce Vide s’échappent les rêves d’Edéard, individu vivant dans une société aux allures à la fois médiévales et florentines : captés et rapportés par un individu bientôt devenu prohète, Inigo, ces rêves sont à la base d’un engouement qui prend des allures de religion.
C’est dans ce contexte que les lecteurs de Peter Hamilton retrouvent Nigel Sheldon, l’un des inventeurs des trous de ver, qui avec l’aide de la technologie des Raïels se lancera dans l’exploration du Vide, dans lequel ont disparu par le passé d’autres vaisseaux. Mais bien loin d’y retrouver la planète Querencia, siège des aventures d’Edeard et source des rêves d’Inigo, il sera contraint de se poser sur Bienvenido, autre monde semi-féodal peuplé par les descendants de l’équipage d’un vaisseau humain happé par le Vide des siècles plus tôt.
C’est donc sur cette planète que se déroule l’essentiel de l’intrigue. Une planète où, comme dans le reste du Vide, la technologie humaine ne fonctionne qu’à minima, mais où les humains ont gagné des pouvoirs nouveaux tels que la télékinésie, et où les « mods », des animaux modifiés, obéissent aux ordres télépathiques des humains Une planète dangereuse, marquée par les Fallers, des entités biologiques hostiles tombant régulièrement du ciel sous forme d’œufs dont l’horreur n’est pas loin de surpasser celle de des Aliens de Giger et Ridley Scott. Attirant incoerciblement animaux et humains, ces oeufs les aspirent, les vident de leur substance, et en font des doubles animés des plus mauvaises intentions. L’humanité ne survit que grâce aux guetteurs et aux battues constantes à la recherche de ces œufs.
C’est dans ce contexte, et dans celui d’une société aux relents féodaux que l’on suit sur cette planète les aventures parallèles de Nigel Sheldon et d’un jeune autochtone du nom de Slavsta. Ce dernier, militaire en charge des battues, se révèle rapidement bien trop progressiste et trop efficace pour ne pas faire de l’ombre à ses supérieurs. Bientôt placardisé à Varlan, la capitale, il y découvrira la médiocrité du pouvoir, les abus moyen-âgeux, la corruption omniprésente, la statu-quo soigneusement entretenu. Avec l’aide de Bethaneve, une jeune archiviste, et de quelques-uns de ses anciens compagnons d’armes, et après avoir tout d’abord gagné une part de pouvoir par voie démocratique, il organisera la révolution. Tout ceci avec l’aide occulte de Nigel Sheldon, dont les véritables objectifs demeurent soigneusement dissimulés.
Ces aventures sont donc l’occasion pour Peter F. Hamilton de créer une fois encore un nouveau monde, précis et cohérent, avec à la clef une réussite digne d’un Jack Vance. Son sens du détail et sa capacité à donner corps à ses personnages lui permettent d’entraîner le lecteur au long de six cents pages – en attendant un second tome qui devrait en faire autant – sans jamais l’ennuyer. Si l’on peut parfois discuter l’entrain que met Peter F. Hamilton à accumuler péripéties et détails, par exemple pour le premier chapitre qui à lui seul atteint les quatre-vingt pages, on est aussi obligé d’admettre qu’il ne s’abaisse jamais à utiliser les techniques de dilution bien trop apparentes et bien trop en vogue dans cette autre littérature de genre qu’est la fantasy.
Si l’essentiel de « L’Abîme au-delà des rêves » relève donc du planet-opera, Peter F. Hamilton n’en délaisse pas pour autant la composante spatiale. Les anomalies quantiques, les étranges créatures intersidérales accompagnant à la fois les vaisseaux à travers le Vide et – réalité ou imposture théologique – les âmes vers son Cœur, l’effarante aventure intriquée d’un groupe d’astronautes dans une singularité spatio-temporelle inscrivent bel et bien ce roman dans l’univers du Commonwealth, au sein duquel il n’est sans doute pas destiné à figurer comme une simple parenthèse, mais bel et bien comme un jalon déterminant. La preuve à venir dans le second tome des « Naufragés du Commonwealth », intitulé « The Night without stars », dont la publication outre-manche est prévue pour l’année à venir.
L’Abîme au-delà des rêves (Les Naufragés du Commonwealth, tome I)
Peter F. Hamilton
Traduit de l’anglais par Nenad Savic
Couverture : Fred Augis
Editions Bragelonne