Entretien avec Romain d’Huissier, auteur du roman Les 81 Frères


romain-dhuissiereMaginarock :
Bonjour Romain, est-ce que tu pourrais tout d’abord te présenter à nos lecteurs ? Car même si tu es chroniqueur sur ces mêmes pages, certains ne te connaissent pas encore…

Romain d’Huissier : Eh bien je m’appelle Romain d’Huissier, j’ai bientôt 38 ans et j’ai commencé l’écriture par le biais du jeu de rôle – milieu dans lequel je suis auteur depuis une bonne quinzaine d’années à présent sur diverses gammes (notamment La Brigade chimérique – l’Encyclopédie et le Jeu, Hexagon Universe, Luchadores, etc.).

J’ai toujours voulu écrire des romans, mais une sorte de complexe m’en a longtemps empêché. J’ai pris mon courage à deux mains vers 2010 et j’ai depuis publié six romans, une douzaine de nouvelles et dirigé trois anthologies. J’espère continuer dans cette voie et continuer à faire d’aussi belles rencontres que toutes celles qui m’ont mené jusqu’ici !

M. : Tu es l’auteur du roman les 81 Frères, premier tome des Chroniques de l’Étrange, qui vient de sortir chez Critic. Comment t’es venue l’idée étrange d’écrire un roman d’urban fantasy se déroulant à Hong Kong avec le bestiaire fantastique chinois en toile de fond ?

R.d’H. : Tout a commencé avec l’appel à texte de Malpertuis pour leur anthologie l’Amicale des Jeteurs de Sort. La consigne était alors de traiter la figure du magicien ou du sorcier par le biais du fantastique contemporain et pas de la fantasy – sacré défi ! C’est là que l’idée d’utiliser un exorciste taoïste comme protagoniste dans un contexte moderne s’est imposée : je connais assez bien la mythologie et la culture populaire chinoises, je suis fan de cinéma de Hong Kong, tout cela me permettait de me démarquer… En réfléchissant à ces diverses influences, j’ai compris que je tenais un univers d’urban fantasy exotique – et donc potentiellement original.

J’ai alors écrit une assez longue nouvelle (que le lecteur complétiste trouvera à la fin des 81 Frères, dûment révisée pour la rendre parfaitement cohérente avec le roman) et j’ai eu la chance que Christophe Thill et Thomas Bauduret l’acceptent au sein du recueil – qui parut en 2013, en partenariat avec le Festival Zone Franche de Bagneux.

Et puis j’ai traversé un petit passage à vide en 2014, ne sachant pas dans quelle direction m’orienter niveau écriture. Régulièrement, Johnny Kwan se rappelait pourtant à mon bon souvenir mais écrire tout un roman sur Hong Kong me semblait au-dessus de mes forces – n’ayant jamais mis un pied dans cette ville. J’ai tout de même fini par céder aux injonctions de ce personnage et je suis revenu vers lui. Bien décidé à rendre hommage au Port Parfumé, j’ai creusé sur tous les aspects qui pouvaient différencier Les 81 Frères de l’urban fantasy plus classique (difficile de surpasser les maîtres sur leur propre terrain…) : la mythologie, le bestiaire, la magie, le décor… C’est ainsi que sont nées Les Chroniques de l’Étrange (un titre de série hommage à Pu Songling, pour les connaisseurs) et leur premier tome, Les 81 Frères.

J’ai eu la chance que Critic accepte très vite mon manuscrit au sein de leur collection d’urban fantasy. J’ai pu bénéficier de la même présentation luxueuse qu’American Fays – couverture cartonnée, dos toilée… – et du même illustrateur : le talentueux Xavier Collette qui a parfaitement su rendre l’ambiance de mon roman.

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M. : Cela t’a-t-il demandé beaucoup de recherches ? Car finalement ces créatures et cet imaginaire sont assez éloignés du nôtre, non ?

R. d’H. : Pour l’imaginaire chinois, c’est un domaine que je connais assez bien – en étant passionné de longue date et ayant œuvré sur une gamme de jeu de rôle se déroulant dans la Chine ancienne (Qin – Les Royaumes combattants). J’avais alors fait beaucoup de recherches sur le sujet, notamment à l’occasion de l’écriture du bestiaire Mythes et Animaux fabuleux. Je me suis aussi frotté au genre de la chevalerie chinoise en écrivant deux fascicules dans cette veine pour le Carnoplaste. J’ai toutefois bénéficié de l’aide d’un éminent spécialiste, bien plus cultivé que moi encore : Nicolas Henry (auteur du jeu de rôle Wulin et traducteur pour les éditions Fei ; il a également co-dirigé à mes côtés l’anthologie Dimension Chevalerie chinoise). Il m’a permis de combler mes quelques lacunes et d’ajouter encore une couche de cohérence à mon univers – grâce lui en soit rendue !

Les différents courants de pensée chinoise – comme le Taoïsme, le Bouddhisme ou le Confucianisme – m’étaient donc déjà familiers ainsi que les dieux, démons et esprits de l’Empire du Milieu. Il suffisait de moderniser un peu tout ça, d’imaginer ce que donneraient ces légendes et personnages à notre époque dans une métropole actuelle, pour obtenir la saveur unique de l’urban fantasy.

Le plus gros des recherches a plutôt porté sur Hong Kong elle-même. Comme je l’ai dit, je ne m’y suis jamais rendu en personne et je craignais de ne pas avoir la légitimité pour en faire mon décor. Je me suis donc plongé à corps perdu dans des livres, des sites et bien sûr des films. Des outils comme Google Street View par exemple me furent très précieux. Mais visualiser sur un écran les rues d’une telle ville et les arpenter en personne, ce n’est pas la même chose… Là aussi, j’ai bénéficié de l’aide d’un ami vivant sur place – l’illustrateur Fred Boot (qui travailla avec Fabrice Colin sur la bande-dessinée Gordo, un Singe contre l’Amérique). Passionné par le Port parfumé, il a su me transmettre une partie de sa flamme et répondre à mes incessantes questions – j’espère que grâce à tout cela, la Hong Kong des 81 Frères parvient à restituer un peu de l’atmosphère unique de cette métropole pas comme les autres.

M. : Tu es également auteur et joueur de jeu de rôle. Est-ce que cela influence ta manière d’écrire ?

R. d’H. : Je ne saurais le dire, c’est difficile de s’analyser ainsi. Je n’envisage pas l’écriture de la même façon selon que je travaille sur un jeu ou un roman, bien sûr… Mais forcément, il doit y avoir des éléments transversaux – même s’ils sont inconscients à mon niveau. Quand j’écris un jeu, je sais que je dois travailler un univers (à la fois le décor de jeu et les règles qui lui donnent vie, imbriqués de la meilleure façon possible) afin de le livrer clé en main à des joueurs qui y feront alors exister leurs propres personnages. Pour un roman par contre, je me préoccupe avant tout de l’histoire et des protagonistes – mais il est évident que je réfléchis aussi à l’univers dans lequel se déroule l’intrigue et à la bonne manière de le présenter aux lecteurs (ne pas les étouffer sous d’interminables explications cassant le rythme de la narration mais en donner suffisamment pour leur faire comprendre la logique du récit – un équilibre pas toujours évident à trouver).

Longtemps, avoir été issu du milieu rôliste était plutôt vu comme une tare pour un écrivain – mais de nos jours, presque tous les auteurs de SFFFF en viennent ! C’est même mentionné sur la quatrième de couverture de leurs romans, comme un gage de qualité. Je suis donc plutôt fier d’appartenir à un mouvement au sein duquel on retrouve des gens comme Mathieu Gaborit, Fabrice Colin, Pierre Pevel, Fabien Clavel, Charlotte Bousquet, Jean-Philippe Jaworski, Julien Heylbroeck, etc.

Ce qui est certain par contre, c’est que quand j’œuvre sur un univers aussi riche que celui développé dans Les 81 Frères, j’ai très envie de le voir adapté en jeu de rôle – afin qu’il prenne également vie autour des tables de joueurs désireux de prolonger le plaisir du roman.

M. : Tu travailles également sur des univers de super-héros. Peux-tu nous en dire plus sur cette facette de ton écriture ?

R. d’H. : Je suis un très gros passionné de comics, c’est certain. Le super-héros fait intégralement partie de ma culture. Grâce à Serge Lehman et Fabrice Colin, j’ai eu la chance de travailler à mon modeste niveau sur ce chef d’œuvre absolu qu’est La Brigade chimérique – en occupant la fonction de chef de projet et d’auteur sur son adaptation en jeu. Apporter ma petite pierre à l’édifice de la reconnaissance des racines européennes et françaises de la figure du super-héros fut un immense bonheur pour moi.

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Puis une rencontre avec Jean-Marc Lofficier s’avéra déterminante pour ma carrière d’écrivain. Ce grand monsieur me donna en effet la chance – en compagnie de mon frères d’armes Julien Heylbroeck – de diriger l’anthologie Dimension Super-héros, consacrée à des personnages eux aussi créés en France par les éditions Lug dans les années 1960 et qu’il avait entrepris de moderniser. Suite à cette excellente expérience, M. Lofficier m’a demandé d’écrire un roman entier sur le sujet – mettant en scène le groupe Hexagon, équivalent des Avengers ou de la Justice League. Une chance pour le débutant que j’étais alors ! Au total, j’ai dirigé deux Dimension Super-héros (un troisième est prévu en 2016) et écrit deux romans sur l’équipe Hexagon (Matière noire et La Guerre des Immortels) – avec Philippe Ward comme directeur d’ouvrage, un atout certain pour se former quand on est jeune auteur. Surtout, j’ai pu ainsi initier le jeu de rôle Hexagon Universe chez les XII Singes, adapté de cette licence – bouclant ainsi la boucle et permettant à un nouveau lectorat de découvrir ces personnages.

En France, nous ne sommes pas très familiers de la forme romanesque pour les récits de super-héros – que l’on connaît surtout par le biais des bandes-dessinées et à présent du cinéma. Aux États-Unis, c’est déjà plus courant – comme en témoigne par exemple la série d’anthologies Wild Cards dirigée par rien moins que Georges R. Martin. L’exercice est pourtant passionnant, car il faut parvenir à rendre par le biais de l’écriture purement littéraire le dynamisme de telles histoires – avec ses affrontements dantesques et ses personnages colorés !

M. : Dans lequel des deux types d’univers préfères-tu te plonger ?

R. d’H. : Je n’ai pas réellement de préférence. Je suis passionné par de nombreux sujets et j’aimerais tous les explorer par le biais de l’écriture.

Par exemple, j’ai en tête un roman de fantasy dont les scènes d’action s’inspireraient des manga type Dragon Ball ou Saint Seiya : des affrontements épiques à grands renforts d’armes magiques et de pouvoirs divins, mais sans perdre de vue l’humanité des personnages. Il est probable que je m’y attaque dès que j’aurais bouclé la trilogie des Chroniques de l’Étrange.

J’aimerais aussi m’essayer au space opera, au pulp façon The Shadow, à la mythologie antique, etc. Tout en revenant de temps en temps à mes lubies habituelles.

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M. : Comment ton dernier roman a-t-il été reçu par le public ? Es-tu content des retours que tu en as pour le moment ?

R. d’ H. : Le roman est sorti il y a à peine un mois, je n’ai donc aucune idée de ses ventes – il est trop tôt pour les estimer, je pense. Peut-être après les fêtes de fin d’année ? Je ne peux qu’espérer qu’il trouve son public, en tout cas.

Concernant les premières critiques, elles sont vraiment bonnes – ce qui bien sûr me comble mais me met aussi la pression pour la suite ! Il faut que chaque tome soit meilleur que le précédent et que je termine en apothéose.

Un point qui revient souvent parmi le négatif, c’est la linéarité de l’enquête du héros. Il est vrai que l’intrigue de base des 81 Frères peut sembler simple mais avec ce premier tome, je tenais avant tout à faire découvrir au lecteur tout un univers avec sa mythologie, son bestiaire, ses personnages… J’ai donc préféré ne pas risquer de le perdre avec une trame trop alambiquée. Peut-être était-ce un tort mais le deuxième tome est en tout cas plus tortueux – et surtout, il éclaire certains événement des 81 Frères d’une lumière différente…

M. : As-tu déjà fini d’écrire le prochain ? Car finalement, j’attends la suite avec impatience !

R. d’H. : Le deuxième tome est écrit. L’éditeur l’a à présent entre ses mains griffues et dès début 2016, nous entamerons le bal des relectures et corrections. Il sortira donc à la date prévue, tout juste un an après Les 81 Frères.

Le troisième et dernier tome devrait suivre le même chemin. Je tenais à sortir un volume par an afin que la série ne traîne pas en longueur et que le lecteur ne doive pas attendre trop entre chaque – au risque d’oublier des bribes d’univers ou d’intrigue.

M. : Sur quels salons seras-tu présent d’ici la fin de l’année et en 2016 ?

R. d’H. : Je passerai aux Rencontres de l’Imaginaire de Sèvres fin novembre – plutôt en tant que touriste mais les amis du Carnoplaste et de Trash me feront une place sur leur stand si des lecteurs me demandent une petite dédicace.

Pour 2016, tout n’est pas encore décidé – j’imagine que Critic me prépare un chouette programme ! J’aimerais beaucoup faire les Imaginales, évidemment. Je serai en tout cas à coup sûr au Dormantastique (un chouette salon qui a tenu sa première session cette année) et à Interpol’Art car ces deux manifestations se déroulent non loin de chez moi.

Pour le reste, tout dépendra des opportunités et de ce qu’aura prévu mon éditeur.

M. : Merci Romain pour tes réponses, peut-être as-tu un dernier mot pour nos lecteurs ?

R. d’H. : J’espère que j’aurais su les intéresser aux 81 Frères et qu’ils auront donc envie de découvrir cet univers à la fois familier (c’est de l’urban fantasy) et original (car utilisant d’autres paradigmes que les classiques). Et qu’ils n’hésitent pas à m’en faire des retours ! Ce n’est que comme ça que je pourrais m’améliorer.

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