Avilion – Robert Holdstock

Avilion [400 large]Après La Forêt des Mythagos  (initialement paru sous le titre de La Forêt des Mythimages ), après  Lavondyss , après  La Porte d’Ivoire , après Le Passe-broussaille , Robert Holdstock nous emmène une fois encore – la dernière – dans cette forêt primordiale d’Angleterre habitée par de bien étranges entités, images ou plutôt concrétisations physiques des personnages de la mythologie. Fantômes ancestraux issus de cette mémoire collective qu’est le mythe, nés du terreau fertile de l’imaginaire gisant en chacun de nous, d’étranges créatures, parfois humaines et parfois non, habitent le bois de Ryhope, y disparaissent, y réapparaissent tout comme ils réapparaissent en nous.

 

« Pendant la nuit, devant la maison, la forêt s’était retirée jusqu’au mur d’enceinte. »

 

Cette forêt de Ryhope, si elle a bel et bien une concrétisation physique, n’est rien d’autre que l’espace du mythe, l’espace de cet imaginaire qui lui aussi nous habite et nous hante, apparaît et disparaît comme les mythagos en périphérie de notre champ de vision. Il y a dans Avilion, comme toujours chez Robert Holdstock, ce jeu trouble et poétique avec la topographie, non seulement dans la surface impossible de cette forêt au pourtour fini mais dont l’intérieur paraît sans fin, mais aussi dans la mise en scène de cette lisière qui, de manière à peine perceptible, animée par des flux et des reflux imprévisibles, se meut comme une étrange marée, élabore une délimitation trouble, fluctuante, entre monde des songes et monde réel.

 

Avec la sortie de Jack, petit-fils de George Huxley, de la forêt des mythagos – il y est né et n’a jamais connu le monde réel – Holdstock inverse un schéma classique. Après les quêtes initiales de George Huxley ou d’autres personnages cherchant à comprendre ce qu’il y a à l’intérieur du bois de Ryhope, voici celle de Jack, cherchant à comprendre le monde extérieur. Un monde qui à travers la petite ville de Shadoxhurst lui paraît fabuleux, non pas comme ce que l’on a déjà vu ou lu mille fois, en découvrant la technologie, mais en restant dans le domaine des images que l’on peut rapporter au mythe, par exemple lorsqu’il découvre des chevaux élancés, moins massifs que ceux qu’il a toujours connus, et qui lui semblent relever de la fable. Comme si le monde extérieur se dépouillait de sa chape de prodiges électromécaniques pour nous dévoiler un réel que nous ne sommes pas capables de voir. Jeu d’inversion encore sur les personnages puisque Jack retrouve dans la vieille maison d’Oak Lodge le fantôme ou le mythago  de George Huxley, et l’on a bien du mal à savoir qui est un fantôme pour l’autre.

 

« De l’ombre des ifs surgirent cinq immenses silhouettes dépenaillées ensevelies sous plusieurs couches de fourrure. Elles portaient des masques de cerfs aux andouillers réduits à des chicots. »

 

Qui sont les fantômes, qui sont les humains, qui sont les mythagos ? Là encore les frontières se brouillent dans une intrigue complexe mettant en scène Steven et Christian, les deux fils de George Huxley, Guiwenneth, de nature plus sylvestre, Yssobel, sœur de Jack, fille de Steven et de Guiwenneth, et aussi des personnages issus du mythe comme Arthur, Ulysse et Peredur, mythagos à l’élaboration desquels ont pris part à des degrés divers les protagonistes humains. D’autres personnages interviennent également, comme les terribles Amurngoth, capables de sortir du bois de Ryhope pour y enlever des humains et les remplacer par des change-forme, l’étonnante Vif-Argent, le pasteur Caylen Reeve, mystérieux personnage qui à Shadoxhurst semble depuis longtemps vaciller sur l’entre-deux.

 

C’est donc à travers les quêtes de trois générations de Huxley – George, le grand-père, Steven et Christian, ses fils, Yssobel et Jack, ses deux petits-fils –  mais aussi de Guiwenneth et du fils Hawking, enlevé par les Amurngoth, que Robert Holdstock tisse une trame complexe emmenant ses protagonistes à la frontière d’Avilion, terre des morts mais aussi endroit créé par les rêves d’Yssobel, et à laquelle celle-ci, à la recherche de sa mère elle-même lancée sur les traces de Christian, la brebis galeuse de la famille, accède en « volant » la mort du roi Arthur et en dupant ses psychopompes. Une Yssobel dont la nature mi-humaine mi-sylvestre lui permet de lire l’ailleurs, dans les surfaces des boucliers ou des fontaines, à travers les fenêtres, mais aussi en s’abandonnant à la nature végétale des dryades.

 

« Je me suis sentie humaine très longtemps, mais c’est de la sève qui coule dans mes veines. Je suis un mythago. Je n’ai jamais cessé de l’être. Le temps du retour aux sources est revenu, même si cela ne dure pas.

 

Avilion commence sur la frontière entre la forêt de Ryhope et le monde réel, Avilion s’y termine. C’est sans doute à cet endroit précis, et tout particulièrement dans sa première partie, que le roman est le plus convaincant, et qu’il parvient au mieux à recréer chez le lecteur la sensation nouvelle éprouvée en lisant les premiers volumes consacrés aux mythagos.

 

On retrouve en effet dans Avilion les qualités, mais aussi les défauts de l’œuvre de Robert Holdstock. Parmi ceux-ci, on notera une hétérogénéité dans l’écriture qui n’en finit pas de surprendre chez un auteur pourtant expérimenté : ici et là, des descriptions bâclées, des dialogues superficiels, et parfois de subits hiatus déséquilibrant la narration, hiatus d’autant plus incompréhensibles qu’il aurait été facile de les éviter. Autant de défauts épisodiques, récurrents, que l’on trouvait également dans d’autres volumes, part intégrante de la « Holdstock’s touch » et qui s’ils font parfois, mais de manière transitoire, pencher de tels romans vers le corpus sans fin de la fantasy opportuniste, ne les empêchent pas, par ailleurs, de s’en démarquer suffisamment pour composer une œuvre singulière.

 

Car, outre ses thématiques propres, Avilion n’est pas dépourvu de souffle ni d’images puissantes – citons par exemple Uzana et Naine, psychopompes d’allure humaine, moissonneuses de vies et capables de se transformer en terrifiantes corneilles ou les soldats sans nombre de la terrifiante Légion, armée capable de sortir de terre et de voyager à travers les époques du mythe. On retrouve dans ce dernier roman la tonalité si particulière du cycle des mythimages, sa pointe d’âpreté et de tristesse, cette fragilité permanente des héros dans les veines desquels coulent parfois le sang, parfois la sève, mais surtout l’essence même des mythes. Un cycle qui se clôt définitivement – Avilion ayant été publié en langue française l’année même de la mort de l’auteur – vingt quatre ans après la première publication de Myhhago Wood, au grand regret de ses nombreux admirateurs. Un cycle qui compose, bien loin des clichés habituels de la fantasy, une œuvre attachante, une œuvre mémorable, et aussi une grande fable intemporelle.

 

 

 

Avilion

Robert Holdstock

Traduction de Florence Dolisi

Couverture : Alain Brion

Gallimard, FolioSF

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