Sentinelle – Complex T2 – Denis Bretin et Laurent Bonzon

Geoffroy Pills et Andy Grossman, deux agents New-Yorkais de la cellule Etude et Surveillance, chargés  d’éplucher tout ce qui est en rapport avec le 11 septembre, découvrent en 2004, grâce aux routines informatiques, un message téléphonique où un individu récite, un à un, les noms des victimes. Toutes leurs vérifications le confirment : ce message date d’avant les attentats. Ils se lancent donc à la recherche de la femme ayant récité ces noms, la retrouvent – vivant dans les terrains vagues, elle est folle depuis longtemps – et découvrent, quelques mois plus tard, qu’elle a également  prévu le tsunami.

 

On retrouve dans ce récit quelques-uns unes des imperfections que nous avions notées au sujet du précédent roman de Denis Bretin et Laurent Bonzon. D’une part des formules parfois maladroites (« Un .458 Winchester capable d’arracher la tête d’un caribou à deux cents mètres et celle de la peur à bout portant »), d’autre part une tendance à remplir le volume, en accumulant les chapitres non pas ennuyeux, mais simplement peu utiles : ce que nous avons résumé dans le paragraphe ci-dessus occupe tout de même cent trente pages, déboires sentimentaux de l’un des agents inclus.

 

Malgré ces défauts, finalement de peu d’importance, le récit ne tarde pas à prendre une dimension nouvelle. Andy Grossman et Geoffroy Pills reprennent leur enquête sur des éléments inattendus: l’augure qu’il ont retrouvée est subitement enlevée par une mystérieuse organisation capable d’imposer le silence à la police, et qui menace également leur propre existence. Ils découvrent, incidemment, que des condamnés à mort récemment exécutés sont encore bien vivants, et qu’un sacrifice de masse a eu lieu dans la jungle colombienne. Dans la même jungle, Roman Dragulescu, ancien assistant de Sensini, travaille à l’identification des corps :  ses conclusions sont de l’ordre de l’impossible. En parallèle à ces enquêtes, Crawford, multi-milliardaire spécialisé dans le conseil  et entretenant de louches accointances avec une armée privée du nom de White Earth (à l’évidence un démarquage de la Blackwater de sinistre mémoire), mène, grâce à la survie artificielle de la personnalité d’un génie bio-informatique, une quête effrénée qui devrait lui donner la maîtrise de l’avenir.

 

C’est en marge de ces intrigues parallèles, et dont on devine qu’elles vont inexorablement confluer, que l’on retrouve, dès le chapitre dix-neuf, Iva Neves et l’inspecteur Renzo Sensini, principaux personnages du premier volume. Sensini, mis au repos après les évènements rapportés dans « Eden », est parti à la recherche d’une île grecque dont son voisin Waldaieff lui a envoyé une carte postale. Mais il ne tarde pas à être confronté à de nouveaux mystères,  millénaires ceux-ci. Sur le site des augures de Delphes, il est entraîné par un mystérieux personnage vers des aventures à première vue oniriques. Ce gigantesque complexe souterrain sous les ruines antiques, existe-t-il réellement ? Et cette île qu’il croit retrouver, située quelque part hors du temps, ne serait-elle rien d’autre qu’un concept ? A quoi rime cet improbable octuor d’octogénaires (parmi lesquels, Who, What, When, Where, Witch et Whose, tous à la recherche de Why) ? Peut-il y avoir un rapport  entre ces mystérieux individus regroupés sous l’appellation collective de Wicaros Wonderful World et Walter Weltevitch Wadaïeff, son ancien voisin, ou encore avec les mystérieux W des grillages ayant clos les lieux d’expérimentations interdites de Naeliev ? Mais enfin, qui sont donc ces vieillards excentriques ? Réincarnation de dieux anciens, entités métaphysiques, créations de son propre esprit ?

 

Si ce roman ce lit de manière indépendante du volume précédent, seuls les lecteurs attentifs du premier opus se souviendront de ce qui y était écrit, en tous petits caractères. « Leur nom est un mystère, mais ce sont des gens très importants. Avec eux, le monde va comme il va », pouvait-on lire dans ce curieux récit parallèle se déroulant, en une seule ligne, tout au bas des cinq cents pages d’Eden. Et,  un peu plus loin : « Leurs noms se cachent sous les questions que nous posons à notre monde depuis toujours insaisissable. » Et tous ces individus dont le nom commençait par un W étaient déjà à la recherche de Why, mystérieusement disparu.

 

Avec habileté, Denis Bretin et Laurent Bonzon font alors fusionner tous les pans de l’histoire. Enquêtes multiples, technologies futuristes, croyances anciennes et aspects symboliques vont s’emboîter comme les pièces d’un puzzle à l’évidence minutieusement conçu. Peut-on supprimer les questions, prévoir le futur, obtenir les réponses ? Encore faudrait-il que de tels projets soient du goût de ce mystérieux individu nommé Why, qui prend un malin plaisir à guider Sensini sans que celui-ci ne parvienne à en deviner rien d’autre qu’une silhouette fugitive.

 

Il est difficile de ne pas penser, confronté à cet insaisissable personnage nommé Why, au fameux roman de Gilbert Keith Chesterton, « Le nommé Jeudi », et à la fantaisie philosophique et métaphysique qui lui est associée. En choisissant cette voie atypique, Denis Bretin et Laurent Bonzon donnent à ce roman –  et en définitive à son titre – sa pleine et entière dimension. L’on comprend mieux, au fil des chapitres, pourquoi les deux complices se sont obstinés à jalonner les mille pages de leurs deux volumes de scènes trop classiques. Sans elles, il était moins facile de démontrer que « Complex » n’aurait pu être qu’un énorme thriller de plus, l’application mécanique, tayloriste, de techniques et de recettes d’écriture depuis longtemps éprouvées.

 

C’est donc ce contraste entre le propos final et le caractère convenu de certaines péripéties qui donne en définitive tout son poids à la démonstration de Bretin et Bonzon. Mieux que par quelque surprise classique que l’on finit toujours par sentir venir, les auteurs ont su injecter dans cette épaisse ossature de thriller une originalité bienvenue, qui décale le roman vers une de ces frontière transgenres que l’on voit se dessiner, timidement encore, depuis quelques années, une zone de mutation fictionnelle entre polar, fantastique et techno-suspense qui a su séduire une frange du lectorat traditionnel de récits d’anticipation. Une littérature de fusion qui, plus encore, a des arguments pour séduire les amateurs de thriller lassés par la répétition sans âme de motifs rebattus, et qui trouveront dans « Sentinelle », mêlée aux codes du genre, une vision nouvelle.

 

 

Sentinelle– Complex 2

Denis Bretin et Laurent Bonzon

Couverture : Tom Truitt

Presses Pocket, Science-Fiction

8,40 euros

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