La Mort aux Tentacules de Poussière – Robert Darvel

Qui a dit que le passé était mort ? Si, dans le vaste corpus de la littérature fantastique, rien ne meurt jamais pour bien longtemps, et si une telle entorse aux règles relève certes de la nature du genre, il serait injuste de ne pas mentionner pour autant les indéniables et indispensables talents résurrectionnistes d’individus en léger décalage, non seulement avec leur époque, mais aussi avec la rationalité pure. Parmi ces réanimateurs, Robert Darvel édite depuis quelque temps déjà, aux éditions « Le Carnoplaste », des fascicules proposant de nouvelles aventures de héros connus tels Harry Dickson ou des fictions mettant en scène d’autres personnages excentriques, le plus souvent dans l’esprit de décennies révolues. Ceci explique qu’aux  âmes de ces contenus nouveaux soient greffées des enveloppes physiques aux allures anciennes, c’est à dire des cahiers scrupuleusement identiques, dans leur conception comme dans leur présentation, à ceux pour lesquels on s’entretuait à l’époque.

Avec « La Mort aux Tentacules de Poussière », Robert Darvel nous propose la première livraison d’une nouvelle série intitulée « Psychagog ». Le programme semble en être établi par le sur-titre, au futur : « Vous mourrez, et après… » qui n’est pas sans rappeler l’irréfragable optimisme de maximes ornant certains cadrans solaires, et par un sous-titre fallacieusement rassurant: « Les enchantements de l’au-delà ». La couverture nous rappelle donc fort aimablement que nous allons tous y passer, mais tente de se racheter en nous disant que mourir n’est peut-être pas, tout bien considéré, quelque chose de si terrible.

De fait, « La Mort aux Tentacules de Poussière » suit parfaitement cette feuille de route. En dix-huit courts chapitres – sans compter l’indispensable épilogue –  et un peu moins de quarante pages, elle relate les aventures ante et post-mortem de M. Derby, grand sceptique devant l’éternel, qui, après avoir vu son infâme contradicteur, M. Dacre, se suicider de façon spectaculaire sous ses yeux, aura la désagréable surprise de le voir réapparaître non seulement de son vivant, mais aussi après sa propre mort.

 

Car en M. Derby est ancré un tel scepticisme que sa survie dans un et même plusieurs au-delà ne suffit pas à le convaincre. Expérimentant la difficile inconsistance de ne pas être, il se refuse à croire à sa pérennité. « Je n’existe plus », se dit-il, « et si je pense encore, c’est uniquement pour me convaincre que je n’existe pas. » Et l’auteur d’ajouter : « Même assis au bord d’un cratère spirite dans l’entresol d’un indéniable au-delà, il méprisait toute la littérature sur le sujet.  (…) Ramassis d’ignorances sous la péremptoire précision d’une revue technique automobile. Vaine supputation ! » Même mort, M. Derby reste un irréductible. Il se languit d’une dissipation totale qui se fait attendre.

 

Mais ces tentacules de poussière qui dans l’au-delà le terrorisent ne seraient-ils pas l’émanation  même de son scepticisme destructeur ? Le véritable au-delà, plutôt que ces limbes grisâtres, ne serait-il pas accessible uniquement au crédules ? De fait, alors qu’au cours d’un étonnant voyage didactique qui n’est pas sans rappeler certaines explorations des romans de Jules Verne, il vagabonde sur une antique bicyclette en compagnie du Psychagog, être étrange et surnaturel dont le cerveau, dépourvu de visage, de chair et même de boîte crânienne, est posé à même le col, M. Derby en apprend plus sur les mystères de la vie après la mort qu’il n’est capable d’en accepter. Et c’est après avoir découvert qu’il lui est possible de se manifester dans le monde des vivants par l’intermédiaire des médiums, lesquels « peuvent influer sur la régulation aléatoire régissant la transmigration des âmes », qu’il fera un dernier pied de nez à son contradicteur de toujours et s’en retournera sur terre.

 

Classique, un tantinet classieux, avec une pointe de cet humour froid et légèrement suranné qui a hélas tendance à déserter les esprits et à passer de mode en littérature, « La Mort aux Tentacules de Poussière » nous conte donc une aventure originale qui, n’étaient les rapides mentions de téléphones portables ou de Google Earth, de Will Eisner et des « cartoons » inscrivant ce récit dans une contemporanéité difficilement contestable, pourrait avoir écrite il y a bien des décennies. Les références, cryptiques ou revendiquées ( « Martin Eden » de Jack London, « Le Diable boiteux ») l’inscrivent dans le champ d’une culture volontiers classique. Et l’épilogue ambigu, loin de l’usage moderne et convenu de la chute, s’en vient achever l’odyssée de son protagoniste de manière poétique et sensible.

 

Avec trente-huit pages très denses, on est entre la novella et le petit roman, un format qui se prête remarquablement au propos. Si l’on excepte une mince poignée de coquilles évoquant les typographies hasardeuses de l’époque, le soin apporté à la réalisation de ce fascicule apparaît exemplaire. La couverture affiche la couleur, ou plutôt les couleurs, avec le noir, le blanc, le sépia et une discrète touche sanglante, mais aussi la thématique et l’ambiance avec l’aragne et l’ectoplasme, le vieux buffet et le secrétaire à tiroirs, le parquet que l’on devine grinçant et l’ésotérique manuscrit. On apprécie tout particulièrement, au sommet de chaque page, le cerveau posé comme en équilibre sur la ligne supérieure, le cervelet, en dessous, tentant d’y faire contrepoids. Ce fascicule constitue donc un objet original que l’on jurerait chiné sur une brocante, qui ne devrait pas manquer de séduire les amateurs de fac-similés et de choses anciennes.

 

 

La Mort aux Tentacules de Poussière

Collection Psychagog n° 1

Robert Darvel

Couverture : Willy Favre

Editions Le Carnoplaste

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