Conan – Robert E. Howard

Que celui qui s’apprête à lire Robert Erwin Howard sache qu’il va laisser de côté la « fantasy » industrielle aux intrigues diluées en tomaisons à rallonges. Avec Robert Erwin Howard, oubliez les trilogies pour Mesdames Bovary contemporaines, les sagas pour castrats, les épopées pour cachectiques, les cycles épiques pour grabataires, les combats pour midinettes évaporées, les quêtes initiatiques pour adolescents mièvres, les passions pour ménagères à bigoudis, les mythologies en kit et les empires de pacotille. Robert Erwin Howard ne dégraisse pas, ne décaféine pas, n’édulcore pas : il tranche, sectionne et taillade. Robert Erwin Howard, c’est l’héroïc-fantasy fondatrice, pure et dure, brute de forge, sans concession, aussi efficace qu’une hache de bourreau.

Un poème et sept textes essentiels, majeurs, à la fois pour les amateurs de Conan et pour l’œuvre howardienne, sept récits fondateurs du genre : Patrice Louinet, qui dirige la réédition des œuvres de Howard aussi bien en France qu’aux Etats-Unis, a fait le pari de rassembler en un seul volume les meilleurs textes de la geste du Cimmérien. Il est toujours facile de discuter un choix une fois celui-ci opéré ; mais, si on a bien – en toute subjectivité –  un petit regret à ne pas voir figurer des textes comme « Les Joyaux de Gwahlur » ou «Des Ombres dans la clarté lunaire», force est d’admettre que ce recueil dépasse déjà les cinq cents pages et constitue la meilleure introduction à Conan et à l’Age Hyborien qui puisse être.

Il fallait oser ouvrir ce volume par un poème, dont Patrice Louinet nous offre à la fois la traduction et le texte originel ; mais l’initiative apparaît bienvenue dans la mesure où « Cimméria », bref texte empli de ténèbres, de noirceur, de fantômes et de solitude  ne  décrit pas seulement la contré d’origine du Barbare mais aussi une partie de son âme et de celle de son créateur. Simon Sanahujas ne s’y d’ailleurs est pas trompé, qui cite à plusieurs reprises ce poème dans son essai « Conan le Texan », consacré à Robert Erwin Howard et à la genèse du héros.

Suivent donc sept nouvelles, que nous nous garderons bien de résumer tour à tour, pour ne pas gâcher le plaisir du lecteur. Sept nouvelles emblématiques emplies de sang et de fureur, d’enthousiasme et de mélancolie, de traîtrises et de fraternité, de déserts et de côtes inhospitalières, de jungles et de cités perdues, de dieux anciens et d’horreurs à la manière du célèbre Howard Philips Lovecraft, contemporain et correspondant de l’auteur. Et aussi de réflexions, d’incompréhensions, d’un mélange de fascination et de répulsion du Barbare envers les civilisations et leurs aspects superficiels ou leur caractère passager. Car, dans l’œuvre howardienne, les trônes ne sont rien d’autre que des chaises musicales, les souverains périssent rarement de mort naturelle, les empires s’effondrent ou ne subsistent qu’à l’état de ruines dans lesquelles survivent et rôdent sorciers millénaires ou créatures effroyables. On découvrira aussi au fil de ces nouvelles quelques peuplades passablement féroces, dont les fameux Pictes qui interviennent aussi dans de nombreux autres récits de l’auteur, aux côtés d’autres de ses héros.

A travers ces sept nouvelles, on découvrira un aventurier aux visages multiples, infiniment plus complexe que l’image réductrice donnée par ses adaptations picturales ou cinématographiques. Car Conan, s’il apparaît moins tourmenté que Solomon Kane, autre héros de Howard, n’est pas pour autant un simple archétype. Il est un assassin, mais aussi un justicier. Il est un voleur, mais sait aussi adopter le comportement d’un grand seigneur. Il peut être violent avec les femmes, mais aussi défendre leur honneur au péril de sa vie. Fougueux, violent, imprévisible : autant de qualités qui lui permettent d’emporter le lecteur à travers des aventures échevelées.

Ces aventures sont servies par un talent de conteur unique et sans doute inégalé dans le genre. Car Robert Erwin Howard est doté d’une extraordinaire aptitude à doter ses textes à la fois d’un dynamisme exemplaire et d’une puissance d’évocation peu commune. On notera en particulier le  don exceptionnel qu’à l’auteur – et que l’on retrouve à travers la plus grande partie de son œuvre – pour poser en quelques lignes une scène, une situation, un personnage, une ambiance. Il y a, chez Howard, une conjonction saisissante entre l’efficacité et l’économie de moyens qui donne à la plupart de ses textes une force redoutable.

Si ces textes sont extraits des trois énormes volumes publiés ces dernières années aux éditions Bragelonne (Conan le Cimmérien, 2007 ; Conan – l’heure du dragon, 2008 ; Conan – les clous rouges, 2008) les lecteurs qui aimeraient comparer les versions et traductions successives de ces nouvelles de Howard pourront se référer à la première publication exhaustive des aventures de Conan en France, chez Lattès, dans la collection « Titres SF ». Ainsi, pour les textes traduits dans ce volume par Patrice Louinet, peut-on lire les versions antérieurement traduites par Anne Zribi : « La Tour de l’Eléphant » dans « Conan » (1980) ou François Truchaud : « Le Peuple du Cercle noir » dans « Conan l’Aventurier » (1980),  « Les Clous rouges »  et « Au-delà de la  rivière noire » dans « Conan le Guerrier » (1981), et « Une sorcière viendra au monde » dans « Conan le Flibustier » (1982),

Si Conan n’est pas en définitive qu’un sauvage, force est de souligner le fait qu’apprécier ces histoires anciennes et barbares n’est pas non plus  incompatible avec un minimum d’activité cérébrale. On a hélas pu voir, à l’occasion de la sortie de ce volume et d’autres recueils howardiens, fleurir bien de prétendues « critiques » affirmant qu’il s’agissait de versions « non censurées » des aventures de Conan, comme si celles ci étaient dangereusement subversives ou d’un érotisme inconcevable. Les aventures de Conan n’ont, au sens où nous l’entendons habituellement, jamais été censurées par quiconque, mais simplement caviardées par d’habiles aigrefins qui les ont partiellement réécrites dans un but strictement commercial. La nuance n’est pas mince. Nous avons hélas affaire ici à un phénomène classique : n’ayant rien à dire et ayant abandonné toute indépendance intellectuelle, nos valeureux « critiques »  se content de recopier des expressions toutes faites figurant comme arguments publicitaires sur les quatrièmes de couverture. Dans la mesure où de telles méthodes ne témoignent guère que d’une paresse absolue et d’un état de mort cérébrale avancée, et où ces faiseurs de notules ne sont plus animés que d’un hideux simulacre et vie de raison, force est d’avouer, pour rester dans l’optique howardienne,  que le meilleur exercice de miséricorde serait de leur décoller la tête de leurs épaules à coups de hache.

Le paragraphe précédent illustre bien l’influence qu’exerce rapidement sur l’amateur la lecture de ces textes de fantasy brute, pure et dure. Une fantasy dangereuse pour les neurasthéniques, et dont la découverte pourrait être fatale aux plus faibles. Car la lecture de Robert E. Howard, si elle demeure parfaitement légale, n’est rien d’autre qu’un hallucinogène et un dopant de classe majeure. Un stimulant si fort qu’il ne devrait être délivré que sur prescription médicale. Elle propulse votre taux de testostérone au zénith, fait grimper votre pulsomètre vers des cimes nouvelles et pousse votre tension artérielle dans ses derniers retranchements. Au bout de quelques chapitres les veines se mettent à saillir à la surface de vos deltoïdes congestionnés, la lueur pourpre de la barbarie embrase vos prunelles et une fureur écarlate envahit votre âme. La vieille cognée encore tranchante abandonnée dans la remise n’est pas longue à sauter comme d’elle-même entre vos mains et gare à ceux qui  auraient la mauvaise idée de s’attarder en travers de votre chemin. Est-t-il raisonnable de songer à dépénaliser un jour l’héroïne ? Tant que les œuvres de  Robert E. Howard resteront en vente libre, cela ne sera pas vraiment nécessaire.

Conan

Robert E. Howard

Traduction et notes de Patrice Louinet

Milady

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