Solomon Kane – Michael J Bassett

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Solomon Kane est un corsaire égoïste, vénal et épris de sang qui pille une ville d’Afrique du Nord quand il rencontre le Faucheur du Diable. Ce dernier lui apprend qu’il est damné, et qu’il est temps de payer sa dette. Parvenant à s’échapper, il rentre en Angleterre où il se cache afin de protéger son âme. Devenu homme de paix, Solomon va faire face à des évènements tragiques qui vont ramener des armes entre ses mains…

 

Réaliser un film à partir des écrits de Robert E. Howard est possible, John Milius l’avait parfaitement concrétisé avec son Conan le Barbare qui continue à faire date dans l’histoire du cinéma de Fantasy. On y trouve un univers sombre et adulte, des personnages forts et nuancés, des questions sur les religions et les sociétés en général qui soignent un contexte savamment élaboré. Les studios hollywoodiens ont vite abandonné l’idée de poursuivre ce travail de portage à l’écran, tant il faut un cinéaste viscéral, amoureux de son univers pour être capable de suffisamment le trahir afin d’en livrer une adaptation prenante. Les fades Conan le Destructeur, Red Sonja ou Kull le Conquérant en sont le parfait exemple.

La nouvelle aventure récente de Conan et les tentatives avortées de ressusciter le King Conan avec Arnold Schwarzenegger sont autant de preuves que les films autour de l’œuvre du Texan sont difficiles à concrétiser et à vendre, ce malgré le retour en grâce de l’auteur dans les paysages éditoriaux (dans notre pays notamment).

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Et quelle surprise de voir surgir Solomon Kane entre les mains de producteurs européens généralement frileux pour aborder les films de genre SFFF. La société française Davis Films est une maison de production qui a foi en ce genre de projet : à son palmarès se trouvent les films de genre de Christophe Gans, les plus récents Resident Evil ou l’Imaginarium du Docteur Parnassius de Terry Gilliam. Ils sont ici soutenus par le producteur français Samuel Hadida (le Pacte des Loups).

Autant dire que cette coproduction anglo-franco-allemande sort en 2009 de nulle part, et que le trailer orienté pour donner l’impression d’un Van Helsing au Moyen Âge laisse songeur quant au résultat final.

Quand on regarde les premières minutes, où l’on découvre l’impitoyable Solomon Kane en train de piller une ville d’Afrique, on est d’abord surpris par les FX un peu miteux pour se laisser rapidement porter par les décors très Indiana Jones dans l’esprit. Oui, c’est tourné en studio, mais c’est monté avec amour et l’environnement sonne vrai. La force du personnage de James Purefoy et l’ambiance très particulière qui se crée à mesure que le héros progresse dans la forteresse qu’il a prise d’assaut, annonce un point de vue qui charme… avant de se conclure abruptement.

Par la suite, Solomon est chassé du couvent où il se cache depuis un an des forces démoniaques qui en veulent à son âme. On découvre un personnage tourmenté par ses crimes, mais qui ne les renie pas. Il semble alors trouver le repos auprès de la famille Crowthorn, des puritains qui cherchent à rejoindre la côte pour filer au Nouveau Monde. Ensemble, ils vont parcourir une Angleterre frappée par le malheur, les maladies, les désastres.

La couleur est annoncée : le film est d’un premier degré assumé et refuse l’action spectaculaire boom boom hollywoodien. Rapidement, l’impression se confirmera, car Solomon Kane va peu à peu devenir une petite série B très réussie qui lorgne sur des références prestigieuses, un travail bien fait et bien mené qui n’essaye pas d’en mettre désespérément plein la vue.

En effet, sous couvert d’un budget respectable – mais pas énorme – de 40 millions de dollars, le réalisateur anglais Michael J. Bassett (à la carrière confidentielle) s’est entouré d’une équipe solide composée notamment du responsable des effets visuels Patrick Tatopoulos (Stargate, Godzilla), du directeur artistique Ricky Eyres (collaborateur de longue date de George Lucas et chef décorateur sur la série Farscape) ou le créateur de costumes John Bloomfield (Conan premier du nom). Ces artisans rompus aux joutes hollywoodiennes ont permis au film de cacher son flagrant manque de moyens par une production très soignée qui compense très largement ses défauts.

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Car oui, visuellement, Solomon Kane est très réussi. L’atmosphère moyenâgeuse fonctionne particulièrement, le film sent la boue, la sueur et le sang. Les vêtements sont sales et délavés, le temps est pourri, la mort rôde dans les villes et les paysans ressemblent à de vrais pauvres dans cette Angleterre du début du XVIIe siècle. La photographie, très soignée, fait tantôt penser à recherche de plans très travaillés sous la neige de Kingdom of Heaven de Ridley Scott, tantôt à la crasse et à la poisse qui ressortait de films comme La Chair et le Sang de Paul Verhoeven. Ainsi Solomon Kane est parcouru de fulgurances, d’une marche mélancolique sur un lac gelé au plan saisissant de masques de médecins de peste tournés vers le spectateur. On y rajoute une touche de macabre (cadavres pendus, châteaux glauques et autres prisons infâmes) et on obtient une ambiance particulière et immersive, très dark fantasy, qui colle parfaitement à l’idée que l’on se fait des récits de Robert E. Howard. Pendant quarante minutes, le monde dans lequel évolue le film est posé avec calme et justesse, alors que le réalisateur se permet de développer ses personnages sans tomber dans la pompeuse caricature, le tout dans un univers qui sonne crédible.

Mais le visuel joue aussi beaucoup avec son héros, Solomon Kane, interprété avec force et conviction par un James Purefoy qui a enfin droit au premier rôle. On assiste à la création visuelle du personnage, de ses attributs (le chapeau, la cape, les deux épées, l’écharpe rouge autour de la taille) et le Michael J. Bassett n’hésite pas à saisir les moments de doute et de colère traduits à merveille par le regard habité de l’acteur. Puis arrive la révélation, cette scène où le personnage accepte son destin : pour sauver la famille Crowthorn, agressée par une bande armée, Solomon reprend les armes et élimine un à un les assassins dans un bain de sang à la limite du gore – voir cette scène intense où il met trois coups pour décapiter un homme. À partir de là, Bassett se lance dans l’icônisation à outrance, crée des plans à la composition fulgurante qui n’ont qu’un seul but : rendre charismatique Solomon Kane. Et c’est un succès tant les séquences jubilatoires affluent. Le film est vraiment plaisant, car il remplit son premier devoir : il est divertissant.

Il n’hésite pourtant pas à raconter une histoire adulte et sombre qui s’engage sur des sentiers inexplorés depuis longtemps par le cinéma US : le héros est un tueur sans pitié qui, sous couvert de rédemption, va assassiner tous les adversaires qui se dresseront sur sa route. Il est intransigeant, il l’assume et fait le boulot. Le scénario, brut et particulièrement sanglant, est émaillé de scènes fortes qui renforcent l’immersion du spectateur. Pour la première fois depuis longtemps, on assiste par exemple à la mort violente d’un enfant à l’écran, chose totalement proscrite par le MPAA aux USA. Petit clin d’œil au monde Howardien, on a également droit à une scène de crucifixion au crescendo dramatique réussi. La musique de Klaus Badelt, plutôt discrète, joue sur l’ambiance grâce notamment à un petit thème au violoncelle qui illustre bien la détresse du personnage principal. Le thème de Meredith est probablement l’un des plus beaux morceaux du compositeur, évocateur d’une force tragique et d’une mélancolie assumée.

Cette histoire s’insère dans un univers très cohérent, qui réussit à donner corps au monde qu’il crée. C’est la meilleure surprise de Solomon Kane : il parvient souvent à être impressionnant malgré les limites évidentes qui apparaissent.

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Car oui, on peut y voir nombre de défauts, notamment du point de vue des effets spéciaux. La dernière demi-heure oscille entre réussites et gros échecs tant le manque de moyens saute aux yeux. Solomon Kane se lance à l’assaut du château abritant le terrible Malakai qui terrifie la région. Si la mission se veut épique, le soufflet retombe quand on se rend compte que la rébellion qu’il mène… se compose au plus de dix ou quinze hommes. Du coup, tous les duels du final sont escamotés faute d’un budget suffisant et on ressort frustré, car l’ambition et les intentions sont là, mais le résultat est trop inégal pour conquérir son spectateur.

Soit on se laissera emporter par le souffle de l’ensemble – comme pour Conan le Barbare d’ailleurs, touché par le même syndrome du manque d’argents – et on lui pardonnera les ellipses et coupes qui entachent la fin, soit on ressortira déçu par les promesses non tenues. Par exemple, la scène finale avec le démon/Balrog est très alléchante, mais est entachée d’une réalisation défaillante (plan serrés, créature immobile etc…), la créature étant expédiée en quelques instants. Tout va trop vite à ce moment-là, comme si la production qui avait su si bien cacher son manque d’argent jusque-là se trouvait à court de liquide et devait rapidement en terminer. Dommage.

Reste un autre souci, plus délicat, de la fidélité à l’œuvre d’origine. Très clairement, le lecteur assidu de Solomon Kane qui découvrira le film ensuite sera déçu, car l’impitoyable intolérant devient un homme brisé en quête de rédemption : le sujet du fanatisme religieux est écarté, de même que l’obstination forcenée de l’antihéros (à ce titre, la scène de la taverne est une erreur d’interprétation du personnage). Mais ce côté justicier qui parsème l’œuvre est bien présent, je pense sincèrement que le film peut donner envie de lire les nouvelles d’Howard.

 

On ne peut qu’être choqué par l’accueil très frais des critiques françaises à l’égard du film. Il faut quand même s’étonner de lire qu’un film de Fantasy est « kitsch » comme si c’était une tare ou une honte ; ou que le film est injustement comparé au trop convenu Van Helsing de Stephen Sommers alors que la seule chose qui peut les rapprocher est la ressemblance entre les deux acteurs principaux. Sur ce dernier point, j’ai d’ailleurs trouvé James Purefoy autrement plus charismatique et « méchant » que Hugh Jackman.

2009 est une année post-Seigneur des Anneaux qui est dans la continuité de ces années noires où l’on a consommé des productions US formatés et médiocres comme Eragon à Donjons et Dragons, il est dommage que Solomon Kane ait été rangé à tort dans le même sac. Plutôt que louer les intentions, on a préféré juger le film durement, alors que c’est est typiquement le genre de projets casse-gueule que j’aimerai voir plus souvent.

 

Conclusion

 

Solomon Kane a tout de la série B efficace, bien troussée, qui crée un univers adulte et sombre et profite d’une réalisation soignée pour compenser son manque de moyens. C’est déjà beaucoup, car l’équipe de production a réalisé un travail marquant et s’est approprié la création originale de Robert E. Howard. Bien sûr, les fans crieront à l’infamie et certains habitués bouderont devant l’absence de scènes d’actions spectaculaires.  On tient pourtant un vrai film de Fantasy qui ne s’adresse pas aux enfants et qui respecte au mieux ses engagements.

Solomon Kane
Réalisé par Michael J. Bassett
Scénaristes : Michael J. Bassett d’après l’œuvre de Robert E. Howard
Avec James Purefoy, Rachel Hurd-Wood, Pete Postlethwaite, Max Von Sydow
Metropolitan FilmExport
DVD et Blu-ray disponibles

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