Ryuutama – Les Oeufs des dragons

RyuutamaBienvenue !

Lapin Marteau est une nouvelle maison d’édition – fondée notamment par Jérôme Larré – qui se lance dans le grand bain du milieu rôliste avec un jeu des plus atypiques : Ryuutama – les Œufs des Dragons.

Atypique déjà car il s’agit d’un jeu de rôle qui nous vient du Japon – et à notre connaissance, c’est la première fois qu’un jeu issu de l’Archipel du Soleil levant est traduit par chez nous. Mais atypique également de par ses thèmes, son game design et son ambition affichée.

RPG

La tagline du jeu est la suivante : « à quoi ressemblerait le jeu de rôle si ses créateurs avaient déjà pratiqué les jeux vidéos ? » Une note d’intention qui résume de nombreux aspects de Ryuutama et en explique les choix artistiques et techniques.

Ryuutama met réellement le voyage au centre du système. Alors que dans la plupart des autres jeux de rôle, un trajet ne sert qu’à se rendre d’un point A à un point B, ici ce chemin parcouru est vraiment le cœur de l’aventure. Meneur de jeu et joueurs sont ainsi encouragés à le faire vivre, en le parsemant de petits évènements, de rencontres, de haltes… alors que les règles font en sorte de créer mécaniquement des péripéties pour rendre tout cela intéressant.

De ce fait, un accent particulier est mis sur l’ambiance du monde. Monde qui d’ailleurs n’existe peu ou prou qu’à travers cette atmosphère de découverte et d’émerveillement : Ryuutama ne propose pas d’univers pré-établi, laissant le soin de le bâtir au meneur de jeu et à ses joueurs tout en leur offrant tous les outils pour se faire. Mais même s’il n’existe pas de background spécifique, les personnages de Ryuutama n’évoluent pas dans un flou artistique : le jeu met en avant l’importance des paysages, des climats et des saisons grâce à une brève cosmogonie qui rend honneur aux dragons. Ces créatures fabuleuses incarnent littéralement le monde qu’ils enveloppent de leur bienveillante présence. Afin de perdurer, ils se nourrissent des histoires des voyageurs que sont les personnages – d’où l’intérêt de faire vivre à ceux-ci des aventures les plus passionnantes possibles !

Bien que le design graphique de Ryuutama place le jeu dans une optique très fantasy à l’occidentale, la philosophie qui le sous-tend renvoie directement à un certain esprit shintoïste : importance de la nature, omniprésence des esprits (ici les dragons), mise en valeur du chemin plus que du but, etc. Il en ressort une sensation particulièrement agréable à la lecture : Ryuutama est indubitablement un jeu positif et optimiste, dont la narration se place dans le registre du conte plus que de la saga guerrière. Si le danger et l’affrontement ne sont pas absents du jeu (après tout, les monstres rôdent et les routes ne sont pas toujours sûres), ils n’en constituent pas le cœur et même si le drame et la tristesse ont leur place également, on ne peut s’empêcher de se dire que tout cela va bien se terminer.

Ainsi, sans même développer un background construit, Ryuutama parvient à faire vivre son univers par des moyens peu courants en matière de jeu de rôle : notamment en s’attardant sur l’ambiance à instaurer, en mettant en exergue une certaine philosophie ludique, en centrant sa proposition narrative sur un aspect particulier (ici le voyage)…

Des voyageurs…

Ryuutama propose donc aux joueurs d’incarner des voyageurs dans un monde qui emprunte énormément aux role-playing games japonais que l’on peut trouver sur consoles : on pense ainsi à Zelda, Dragon Quest, Final Fantasy… Les personnages sont définis par leur classe, qui définit le rôle qu’ils joueront au sein de la petite troupe de voyageurs : l’artisan fabrique et répare, le chasseur trouve le gibier et se bat, le fermier est à l’aise avec les animaux et les cultures, le guérisseur est là pour soigner, le marchand va négocier les meilleurs tarifs pour l’équipement, le ménestrel divertit ses camarades avec ses mélodies et le noble apporte sa prestance et son autorité naturelle. Ces archétypes sont simples mais parlants et parfaitement adaptés à l’ambiance du jeu.

Une fois sa classe choisie, un joueur va pouvoir déterminer les attributs de son personnage (agilité, esprit, intelligence, vigueur) en leur attribuant une valeur exprimée en un type de dé (du dé à quatre face au dé à dix voire douze faces). Ces scores permettent de calculer la vie et l’énergie mais aussi à faire tous les tests possibles. Quelques options de personnalisation complètent alors cet alter ego de papier : arme fétiche, équipement, etc.

Enfin, parmi le groupe, certains vont se voir attribuer un rôle plus particulier : le chef (qui prend les décisions cruciales), le chroniqueur (qui relate par écrit les aventures vécues), l’intendant (qui gère l’équipement, les provisions…) et le cartographe (qui guide ses compagnons et dresse les cartes). De même, les personnages doivent tous choisir s’ils sont de type attaque (les combattants), technique (ceux qui règlent les problèmes avec leur débrouillardise) ou magique (la magie étant ici accessible à tous).

Comme on le voit, une certaine simplicité est de mise.

… et de leurs voyages

Ryuutama vous promet de mettre le voyage au cœur du jeu, et le pari est tenu.

Le système est des plus simples lui aussi : un test se fait en associant deux attributs et en lançant les dés qui leur correspondent. Si le résultat bat la difficulté de l’action ou surpasse celui d’un opposant, c’est réussi. Les combats obéissent peu ou prou à la même mécanique mais introduisent des subtilités bien sympathiques. Notamment un plan sommaire du champ de bataille, représenté sous forme d’un œuf avec deux zones pour chaque camp (front et arrière) et des objets à lister qui trouveront toute leur utilité durant l’affrontement. Autre bonne idée, l’initiative détermine non seulement l’ordre d’action des personnages, mais aussi leur défense.

Le voyage quant à lui possède ses propres règles, permettant d’en rythmer les étapes. Ainsi au matin, les personnages doivent faire un test de condition, qui détermine leur forme pour le reste de la journée (test qui sera modifié selon que le groupe a passé une bonne nuit, fait un bon repas, etc.). De même, les péripéties du trajet peuvent imposer à un personnage différents états : empoisonné, malade, las, etc. qui ont une incidence sur ses capacités. Cheminer sur une route demande également divers tests dont la difficulté dépend directement du paysage et du climat traversés : il faut s’orienter, se déplacer et enfin dresser le campement pour la nuit. Si tout cela semble procédurier ou répétitif, il faut comprendre que cette mécanique non seulement soutient la narration mais peut aussi l’impulser : selon la façon dont le meneur de jeu interprète une réussite ou un échec à l’un de ces tests, l’aventure peut s’orienter dans des directions inattendues ! Et n’est-ce pas ce qu’on l’on attend d’un tel voyage ?

Forme et fond

Ryuutama se présente sous la forme d’un livre de format moyen sous couverture souple, à l’intérieur noir et blanc sur papier épais et agréable à feuilleter.

Les illustrations sont réellement superbes – elles tiennent de l’art-work de dessin animé ou de jeu vidéo, avec cette touche japonaise pourtant assez éloignée de celle du manga classique. De plus, elles illustrent chaque élément du jeu avec poésie et parfois humour : ainsi les classes de personnage sont toutes représentées (en version masculine et féminine, c’est à signaler), ainsi que divers types de dragon, des scènes de la vie quotidienne d’un voyageur, etc.

Mais l’indubitable point fort de Ryuutama à ce niveau, c’est sa mise en page. Elle est d’une ergonomie rare, réellement pensée pour que le lecteur s’y retrouve avec aisance. Chaque point de règle est exposé sur une page ou une double page : en un coup d’œil, on a tout devant soi. Surtout, les textes s’organisent autour de nombreux tableaux et diagrammes – ce qui d’habitude faire craindre une certaine aridité, mais qui ici offre une totale clarté au jeu. Il suffit bien souvent de suivre le déroulé d’un organigramme ou de jeter un regard sur un tableau afin de tout saisir. Des éléments comme la magie, le bestiaire ou l’équipement, ainsi organisés, y gagnent énormément en confort de consultation à la volée.

Difficile de séparer la forme du fond avec ce choix de mise en page : l’apparence même du livre, ses illustrations et sa maquette participent réellement au charme de l’univers en le rendant immédiatement accessible et simple à lire. Cerise sur le gâteau, il est proposé un très grand nombre de fiches pratiques en fin d’ouvrage : fiches de personnages, de villes, de voyages, de monde, de scénarios, etc.

Initiation

On le voit, Ryuutama présente d’évidents atouts en tant que jeu d’initiation : proximité avec l’esprit des RPG sur consoles, simplicité du système, ambiance agréable… Il est idéal pour faire découvrir le jeu de rôle aux débutants et même aux enfants.

Mais l’ambition avouée de l’auteur de Ryuutama – Atsuhiro Okada – est que son jeu permette d’initier les meneurs de jeu, d’aider les joueurs à prendre la décision d’assumer ce rôle pivot et parfois délicat. Cela se ressent à plusieurs niveaux.

Tout d’abord, les scénarios de Ryuutama s’organisent sous forme de tableaux clairs (présentant les différents actes, les évènements, etc.) à formaliser sur une fiche. Une présentation pratique aidant le meneur de jeu débutant à structurer une aventure à l’aide d’outils appropriés et de conseils pertinents.

Mais surtout, le passage de joueur à meneur de jeu est facilité par la présence de l’homme-dragon : le personnage créé et interprété par le meneur ! Loin d’être un protagoniste comme les voyageurs, l’homme-dragon est celui qui va rendre leur périple intéressant – en leur portant assistance ou en leur mettant des bâtons dans les roues pour provoquer des rebondissements. En réalité, l’homme-dragon formalise une certaine forme de « tricherie » utilisée par tous les meneurs de jeu (redonner quelques points de vie ici et là, minimiser la difficulté d’un obstacle, faciliter un combat, offrir quelques points d’expérience supplémentaires…) mais en l’encadrant par des règles (celles des souffles et des artefacts).  Et bien sûr, l’homme-dragon peut parfois intervenir directement – sous la forme d’un avatar –, donnant au meneur le plaisir de lui aussi participer au voyage – sans bien sûr voler la vedette aux joueurs.

Par ailleurs, il existe quatre races d’hommes-dragons et chacune correspond à une ambiance de jeu différente, voire un mode de jeu à part entière. En effet, les hommes-dragons veulent récolter des histoires intéressantes pour nourrir les dragons qui forment le monde et chacun d’eux apprécie un type d’aventure particulier. L’homme-dragon vert favorise le dépaysement, la découverte, l’épopée, la quête : c’est celui conseillé aux débutants. L’homme-dragon bleu aime les histoires qui mettent l’accent sur l’amitié, l’amour, la camaraderie, la loyauté : à choisir lorsque les relations humaines sont au centre des scénarios. L’homme-dragon rouge apprécie les combats, les batailles, les rivalités, l’héroïsme : il est idéal pour une campagne guerrière. Enfin l’homme-dragon noir préfère le chaos, les complots, la tragédie, l’immoralité : à sélectionner pour explorer la face sombre de Ryuutama, faite d’intrigues et de trahison.

Encore ?

Bonus exclusifs à cette édition française et preuves du sérieux de Lapin Marteau, on trouve en annexe de Ryuutama des conseils (signés Jérôme Larré) afin de s’approprier au mieux ce jeu atypique (mettre en place le partage de narration, choisir l’homme-dragon avec soin, instaurer la bonne ambiance…), les notes de conception de l’auteur japonais et une véritable campagne afin de se lancer immédiatement sur les routes.

Feel-good RPG

Ryuutama – les Œufs des Dragons est assurément l’une des sorties les plus importantes de l’année. Original et bien conçu, ce jeu de rôle offre une expérience ludique atypique, à même d’attendrir jusqu’au vieux briscard rompu aux campagnes au long cours. Tranchant radicalement avec la production courante du milieu, Ryuutama présente une approche fraîche et enthousiasmante de notre loisir tout en étant l’outil d’initiation idéal. Plein comme un œuf (de dragon, bien sûr), ce livre mérite toute votre attention tant les idées qu’il met en avant profiteront à votre pratique même d’autres jeux.

Pour sa première publication, Lapin Marteau frappe un grand coup et on ne peut que les remercier de nous offrir ce Ryuutama – les Œufs des Dragon ; car il s’agit d’un pari risqué auquel nous souhaitons tout le succès qu’il mérite.

Ryuutama – les Œufs des Dragons

Un jeu édité par Lapin Marteau

202 pages

30 €

 

Trois questions à Jérôme Larré, éditeur de Ryuutama – les Œufs des Dragons

eMaginarock (M) : Ryuutama est un jeu très atypique au sein de la production actuelle. Qu’est-ce qui vous a donné envie de l’éditer – et surtout d’en faire le premier produit de Lapin Marteau ?

Jérôme Larré (JL) : Cela peut sembler idiot, mais ce que nous avons trouvé extrêmement attachant dans Ryuutama, c’est que ses côtés atypiques ne sont justement pas là pour lui donner un cachet original ou transgressif. Par exemple, s’il y a des éléments de narration partagée dans la création de ville ou de monde, cela ne correspond pas à l’envie de coller à une mode (le jeu date de 2007 et n’utilise pas ces termes), mais juste parce que c’est ce que l’auteur a trouvé de mieux pour réaliser ses objectifs. Autrement dit, il ne vise pas l’originalité : il vise une certaine forme d’efficacité et utilise des moyens originaux pour y arriver.

En effet, pour nous Ryuutama est avant tout un excellent jeu. Alors, certes, je n’allais pas dire l’inverse, mais il faut bien reconnaître que c’est un peu la base pour avoir envie de le sortir. C’est aussi et surtout un jeu de rôle qui nous amène à en apprendre davantage sur notre façon de pratiquer notre loisir. Plus encore, il a pris le parti inédit à ma connaissance de proposer un jeu fait non pas pour « initier » les non-rôlistes mais pour créer des vocations de meneur. Et pour y arriver, il déploie des trésors non seulement de pédagogie, mais également de game design. Il me semblait que c’était quelque chose qui manquait à notre loisir.

Cela fait des années que je file des coups de main plus ou moins discrets aux éditeurs qui cherchent à amener chez nous des bons jeux utilisant des mécaniques originales. Avec Ryuutama, c’était l’occasion de le faire directement !

M : Un suivi est-il prévu, et sous quelle forme ? 

JL : Pour l’instant, il nous est difficile de promettre quoi que ce soit tant cela dépend à la fois du succès du jeu et de négociations qui sont en cours. Ryuutama était censé ne pas avoir de supplément, mais vu qu’il semble plaire, on ne s’interdit pas de créer du contenu si on en a la possibilité. De même, on va voir s’il est possible de traduire une partie de créations réalisées pour la version américaine du jeu. En attendant, nous devrions fournir du matériel dans les magazines sortant ces prochains mois.

M : Quels sont les projets suivants de Lapin Marteau ? Et ceux de Jérome Larré, auteur ?

JL : Alors une fois que nous aurons livré tout ce que nous avons à réaliser pour Ryuutama, le prochain gros chantier des éditions Lapin Marteau, c’est Guts – un jeu qui a déjà pas mal fait parler de lui à force de tourner en convention. Il y a d’autres projets qui sont sur le point de commencer, mais nous en dirons plus une fois qu’il sera temps de les bêta-tester eux aussi. En effet, si on va essayer de limiter fortement les annonces de date de sortie, nous n’avons pas l’intention de nous priver des tests extensifs en conventions. Au contraire, c’est devenu une partie intégrante de notre façon de faire.

Concernant mes projets hors Lapin Marteau, et en se focalisant sur ce qui est terminé d’écrire (de mon côté du moins), il y a pas mal de choses. En français, il y a le compagnon d’Apocalypse World et le supplément des Légendes de la Garde, tous deux annoncés pour la fin de l’année par leurs éditeurs respectifs. De ce que j’ai compris, Within ne devrait plus trop tarder non plus.

En anglais, pour la fin de l’année ou début janvier, il devrait y avoir des participations notamment à Grim World, un hack de Dungeon World, et à The Long Orbit, un jeu d’horreur spatial sur lequel j’ai pris un plaisir fou à jouer et à participer. Pour un peu plus tard, au printemps, il y a la sortie de Sheep’s Clothing, un décor pour Hillfolk, le dernier jeu de Robin D. Laws.

Et dans ce qui n’est pas encore terminé, mais risque de l’être quand vous lirez ces lignes, il y a de petites contributions à Sweepers Inc. de Laurent Devernay et à Grimtooth pour Narrativiste Éditions.

Pour le reste, en anglais comme en français, soit il est trop tôt pour en parler, soit je n’ai pas de réelle visibilité dessus. Ce qui, finalement, revient au même.

Propos recueillis par Romain d’Huissier

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