eXistenZ – David Cronenberg

Dans un futur proche, Allegra Geller teste son nouveau jeu : eXistenZ. Le jeu se branche directement sur le système nerveux et promet une expérience de réalité virtuelle. Lors de la présentation, un fanatique cherche à assassiner la créatrice. Ted Pikul un jeune stagiaire, lui sauve la vie. Une course-poursuite s’engage.

Il y a quelques semaines j’ai eu la chance de rencontrer David Cronenberg au NIFFF (le Neuchâtel International Fantastic Film Festival, si vous ne connaissez pas et que vous êtes fan de ciné fantastique, prenez vos billets pour l’année prochaine, ce festival c’est de la bombasse !!!), où il était l’invité d’honneur et le président du Jury. Il a parlé à l’occasion de la diffusion d’une de ses cartes blanches : Toby Dammit (histoires extraordinaires) de Fellini. Il parlait de sa passion et son amour immodéré pour Fellini, de la manière très particulière du Maestro de diriger ses acteurs (à la manière d’un théâtre italien), et cette étonnante facilité à restituer une lumière identique quelque soit l’échauffement des lampes (un vrai soucis récurrent à l’époque). Il nous disait aussi à quel point ce petit film (40 min) l’avait influencé. C’est l’histoire d’un acteur britannique, allergique à la lumière vive, habillé en noir, qui est invité en Italie pour y faire une interview, en échange d’une Ferrari. L’homme confie croire au Mal absolu en la personne d’une petite fille blonde qui joue avec un ballon rouge. Le court est très homogène, quoique relativement ennuyeux, et montre des acteurs qui surjouent leur partie, et un certain sens du grand Guignol (notamment la fin!). Mais quel rapport me direz vous ? J’y viens, j’y viens un peu de patience !

Dans eXistenZ, la première impression est étrange. Voilà Allegra (Jennifer Jason Leigh), qui tripote un pod (une espèce de console flasque avec une vague forme de gamepad), dans une pière où l’observent tous ses fans. Elle se branche avec un bioport, par un cordon ombilical, directement dans la colonne vertébrale (mais, mais… on se croirait dans matrix là non ??? et bien il paraît que non, ma ptite dame. Selon certains articles et rumeurs, les frères Wachowski -maintenant soeurs- n’avaient pas du tout les mêmes références que Cronenberg. Il semblerait que la réalité virtuel était un sujet en vogue à la fin des 90’s). Elle se fait agresser presque de suite par un fanatique anti implants, qui prône le naturel. Ted Pikul (Jude Law), la sauve et s’enfuit avec elle. Elle panique quand elle voit son pod abîmé et entraîne le pauvre Ted chez des mécaniciens, qui vont finir par lui poser un bioport presque contre son gré. S’en suivent des scènes presque sexuelles à base de doigts léchés et de pod caressés. La métaphore est visible et ces images ont un don particulier de mettre mal à l’aise autant que d’intriguer, nous renvoyant tout droit vers Vidéodrome quelques années auparavant. Serait ce les prémices du cybersexe ? Peut être bien. En tous les cas, le monde bascule à ce moment là et on ne sait plus trop si on est dans la réalité ou la fiction. Nous allons tout droit vers Inception et ne le savions pas encore. Tout est si particulier. Le pod est organique presque comme un être vivant, sensuel, et pourtant inerte. Les personnages n’ont plus de volonté et nous découvrons qu’ils peuvent tourner en boucle parce que finalement, on est dans le jeu ou pas ?

Toujours est il que je reviens vers Toby Dammit. Jude Law et Jennifer Jason Leigh s’en donnent à cœur joie, alors que Cronenberg semble les diriger comme un Fellini canadien. Les scènes sont surjouées pour beaucoup avec un certain talent. Le contexte du jeu vidéo permet de partir dans une ambiance particulièrement stéréotypée et clichée. Voir le Toby Dammit et eXistenZ à la suite m’a permis de comprendre totalement le côté théâtral très poussé et cet espèce de « haha !!!! » qui se dégage de chaque action. On dirait que la musique et l’image se sont mises à l’unisson pour restituer cette impression déroutante qui perdure après le film. J’ai compris après plusieurs visionnages que ces scènes dénotaient avec le reste (ce n’est pas forcément évident la première fois contrairement à ce que l’on pourrait penser). Les scènes surjouées impliquent la réalité virtuelle.

La réalisation est nerveuse. La course poursuite est toujours omniprésente (mais pas forcément montrée), et le montage accentue avec précision le suspens latent qui rythme les différentes phases du film. La lumière elle aussi, est très proche de Fellini. La photographie part sur une couleur assez uniforme et on a souvent l’impression qu’il n’y a que très peu d’ombres sur les visages pendant les phases de jeu. La sensation générale reste glauque mais pas vraiment. Nous ne pouvons que constater qu’il y a plusieurs niveaux et que cela n’est pas très clair. Comme plusieurs strates dans l’esprit et les obsessions de Cronenberg. Vidéodrome, n’est vraiment pas loin. Et dans une certaine mesure, les productions suivantes non plus, c’est comme si cette fois il allait un peu plus loin dans sa réflexion. Pour moi, ce film est une vraie charnière qui a réunit le passé et prépare le futur d’un réalisateur toujours plus surprenant.

Les effets sont assez fous pour l’époque (en même temps ils ont été supervisés par Jim Issac, vu sur La Mouche, le festin nu, par exemple, et une équipe de choc), j’ai trouvé le pod et les bioports très bien faits. Je ne parle mm pas du flingue, nickel de complexitude et parfait dans le design. Je n’ai pas pu m’empêcher de noter une certaine accointance avec Giger (amore mio <3), dans ce côté très organique, sexuel et « mécanique ». Nous sommes clairement dans un autre ailleurs. On raconte que Cronenberg a souhaité enlever toute notion de temps au spectateur en retirant les ordinateurs, les télévisions, les téléphones, les montres et les cravates : « Je voulais un monde qui captive le spectateur et l’arrache quelque temps à la réalité. Même si les gens ne remarquent pas l’absence de tels objets, celle-ci contribue au climat d’étrangeté du film. Plutôt que de recourir aux astuces habituelles du cinéma de Science-Fiction, qui consistent à ajouter des étiquettes « futuristes », j’ai procédé par soustraction. »

Mission accomplie Monsieur Cronenberg, le film fascine et déroute tout autant et le twist final donne une autre lecture, alors que tout était écrit.

Conclusion :

Le film de 1999 a vieillit. Oui, mais le sujet est terriblement actuel au final. Certes, certaines scènes pourraient être améliorées. Pourtant, je crois avoir compris toute la fascination de Cronenberg pour Fellini et le grand Guignol. J’y ai même trouvé un certain plaisir.

N’hésitez pas et replongez vous, vous aussi, avec délice, dans l’univers virtuel (ou pas) d’eXistenZ.

ExistenZ

Réali1sé par David Cronenberg

Avec Jennifer Jason Leigh, Jude Law, Willem Dafoe, Ian Holm

Disponible en DVD et Blu-ray

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