3 questions à Marie Valente, autrice de Le Secret du jeune prétendant

Pourquoi avoir choisi l’Ecosse pour le grand retour d’Hippolyte ? Un amour particulier pour ces terres de légende ?

L’Écosse a toujours été un pays de cœur pour moi, depuis les récits de jeunesse de ma grand-mère italienne au sujet de l’une de ses cousines partie se marier là-bas, et de cette jalousie ressentie lorsqu’elle revenait avec voiture et chewing-gum alors que le Sud de l’Italie demeurait dans la pauvreté. Je ressentais « l’ailleurs bénéfique » dans cette histoire et il m’intriguait. J’ai enfin pu le découvrir lors d’un voyage de fin d’étude en Erasmus en Angleterre : dix jours en Écosse et ce fut le coup de foudre pour ses paysages, sa culture, ses châteaux, son histoire… et notamment celle du prince Charles Stuart, surnommé Bonnie Prince Charlie, que j’ai croisé ici et là sur mon chemin. Il incarne une figure dramatique et mélancolique assez typique des auteurices romantiques du 19e siècle (comme Robert Burns ou Walter Scott). Il y avait aussi – et a encore aujourd’hui – un parti pour l’indépendance de l’Écosse, cette figure historique incarne plutôt bien cet esprit de résistance encore présent.

Ce n’est pas pour rien que James Darroch, l’acolyte d’Hippolyte, apparait déjà dans le tome 1, Le Secret du Roi, en tant qu’exilé jacobite à Paris. Puisqu’en plus, l’Écosse et la France ont un lien solide au cours de l’Histoire avec un ennemi commun, l’Angleterre. Ça me semblait indispensable, lorsque j’ai réfléchi à une intrigue pour un tome 2, d’aborder enfin ce pays et de quitter la France. J’avais posé des balises dans le premier tome en mentionnant de loin la situation de l’Écosse au 18e siècle, la position de la France en tant qu’alliée principale, ou encore celle des jacobites expatriés. Sans compter un point très important : les sorcières omniprésentes et d’ores et déjà impliquées dans l’histoire des Stuart dès le 16e siècle (avec le provocateur des grands procès au James VI Stuart).

Le lecteur rencontre le jeune Stuart. Comment as-tu conçu ce personnage historique ? Et n’est-ce pas trop difficile d’emprunter à l’histoire pour créer de la fantasy ?

J’avais donc déjà croisé sa route durant mes voyages et j’avais hâte de voir ce que la série Outlander allait en faire, avant même de songer à l’écrire. Si j’adore la série et sa vision de l’Écosse du 18e siècle, j’ai été déçue de cette interprétation capricieuse et instable. Il n’avait rien à voir avec ce que j’en avais perçu. Quand je me suis penchée sur l’élaboration du tome 2, j’avais déjà pas mal de documentations grapillées en Écosse et j’ai fini par tomber sur un article où des historiens écossais remettaient en question le choix scénaristique d’Outlander en disant que le personnage suivait la propagande anglaise de l’époque. En lisant des textes d’historiens spécialistes des jacobites, parmi tant d’autres sources écossaises, j’ai probablement suivi la propagande inverse : celle des jacobites qui le présentent comme un jeune homme courageux, malin et investi, avec tout de même ses défauts comme une ambition bien grande. Comme je me plaçais de leur point de vue, il me semblait plus judicieux d’écrire ce personnage en suivant ces portraits-là. Je voulais, en plus, critiquer une diffamation courante : dire d’un homme qu’il est efféminé dans le but de le rabaisser. C’était un discours courant du camp hanovrien (anglais) car le prince Stuart revêtait le plaid ceinturé (le kilt de l’époque) en tartan et que son épisode de fuite par bateau, travesti en femme, a marqué les esprits. À travers lui, je parle aussi d’immigration et d’émigration : il est né en Italie, de parents anglais exilé et polonaise, et s’est revendiqué écossais ; il a cherché sa place à la fois à Rome, à Paris et en Écosse où ses ennemis le traitaient de bandito (bandit en italien). Pas assez britannique d’un côté, pas italien de l’autre.

Concernant son ancrage dans un univers fantastique, au-delà de ses enjeux de pouvoir ou d’identité, je me suis surtout servi du caractère que je lui ai donné. Il est jeune, déterminé et fait face à l’incertitude de sa mission, à la pression de son propre camp, de ses alliés, de l’Histoire de sa famille. Tout était déjà là pour en faire à la fois une proie du Bienfaiteur, un potentiel Élu de la déesse Cailleach – qui choisissait déjà un roi entre deux prétendants dans les légendes –, un personnage un peu ambigü que les sorcières auront envie ou non de soutenir, et bien sûr, comme Louis XV, un responsable du cabinet du Secret écossais, l’Hidden. En vrai, tout était là dans cette Histoire existante pour broder un récit de fantasy autour, surtout dans ce pays des fées. C’est ce que je trouve le plus grisant dans l’Histoire : trouver des coïncidences avec mes idées de fictions, me servir des trous et des informations manquantes pour les combler… Ce n’est pas difficile pour moi mais grisant. La seule difficulté que je ressens dans ce genre est celle de limiter finalement les choses et de ne pas partir trop loin !

On découvre également tout un bestiaire de légendes au cours du roman. T’es-tu énormément renseignée avant l’écriture ou bien as-tu juste pris les noms et quelques éléments pour broder ensuite ta propre version ? Et beaucoup d’auteurs me disent que les recherches font partie des moments les plus passionnants pour eux. Est-ce ton cas ?

Les deux ! J’ai commencé par un travail de recherche sur toutes les légendes, anecdotes, histoires de fantômes, de sorcières, de créatures surnaturelles… parce que ce sujet m’a toujours intéressée – on pourrait même parler d’une veille parce que je l’ai entamé depuis mon premier voyage en Écosse en 2011. Je suis partie plusieurs fois là-bas pour visiter des musées sur place, des sites, des lieux hantés, des villes, des châteaux, des expositions… et même faire des ghost tours ! J’ai beaucoup lu d’articles en ligne ou des livres sur tous ces sujets. J’ai toujours voulu coller à la vérité et j’ai tenté de respecter ce bestiaire et ces légendes établis le plus possible. Mais vient toujours un moment où, que ce soit la vérité historique ou la vérité légendaire (la version officielle d’une légende), je vois les limites qui me contraignent dans mon récit. Comme je reste dans le domaine de la fiction, j’outrepasse parfois cette vérité pour broder ma propre version. C’est le cas par exemple de la Great-Hand, la taverne-auberge des sorcières dans les sous-sols d’Édimbourg. Elle est issue d’une légende écossaise qui raconte qu’une main géante surgissait des souterrains pour attraper les gens et les faire disparaître. Je l’ai transformée en lieu en forme de main géante avec la Paume en guise de salle commune et cinq tunnels pour les chambres et représenter les doigts. Je me sers aussi de certaines histoires et je les agrémente : au cours d’un ghost tour, j’entends l’histoire du fantôme de George McKenzie qui hante « officiellement » le cimetière de Greyfriars après avoir emprisonné, torturé et tué des Covenantaires dans ce même lieu, au 17e siècle. En fouillant un peu sa vie, je découvre que cet homme de loi a aussi défendu les sorcières lors des procès en cascade de cette époque. Banco ! Je suis en plein dans ce thème avec mes personnages. Alors je l’ai sorti de son cimetière et en ai fait un avocat commis d’office, réfugié à la Great-Hand, forcé de rendre service s’il veut conserver la protection des sorcières. Que ce soient l’Histoire ou les légendes, ce sont des sources d’inspiration infinies pour moi, et je me régale toujours à brouiller les pistes sur ce qui est vrai et faux dans mes textes. Je n’ai même rien contre les légendes urbaines qui ne sont pas canons, toutes les histoires s’inventent et évoluent tout le temps.

Les recherches sont toujours de très bons moments pour moi, oui ! Me plonger dans des textes scientifiques ou érudits ne me fait pas peur. Et si en plus, il faut se déplacer et voyager pour approfondir un sujet, c’est encore mieux ! Ce travail en amont peut nous emmener sur des routes parfois inattendues. J’ai eu la chance d’entrer en contact avec la déesse Cailleach elle-même – une Écossaise élue chaque année au sein de la Beltane Fire Society pour participer aux fêtes et processions celtiques – et lui poser des questions sur l’origine de certaines légendes. La preuve que le travail d’écriture nous rapproche des divinités !

Merci d’avoir répondu à toutes mes questions et à bientôt au détour des pages de tes romans !

Merci à vous pour ces questions ! ça me fait plaisir de parler de ce livre.

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