L’incivilité des fantômes – Rivers Solomon

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Aster est née femme, non binaire, noire et souffre de troubles autistiques, ce qui déforme sa vision de la réalité. Pour autant, elle a la révolte au cœur, comme toutes ses sœurs des ponts inférieurs, du moins celles qui ne se sont pas résignées à leur sort. Aster vit à bord du Matilda, un vaisseau qui a quitté la Terre, il y a trois cents ans, pour trouver une nouvelle Terre promise. En trois siècles, les choses ont bien changé et l’esclavage est devenu la règle dans le navire. Comment penser la liberté quand on ne sait pas ce qu’est réellement l’espace, tant l’encloisonnement au sein du vaisseau est inné pour toutes ces femmes ?

Des souverains se succèdent à la tête du vaisseau et leurs gardes sont craints tant ils peuvent être cruels avec celles qu’ils voient comme des êtres inférieurs. Des fouilles régulières, des jugements moraux abjects mettent à mal leur intimité et leur survie. La mise à mort arrive parfois, mais rarement. Pourquoi se séparer des bras qui travaillent dans les ponts agricoles, qui élèvent les enfants des puissants, qui subissent leurs instincts lubriques ? Nous ne sommes pas dans les champs de coton de la Virginie, mais dans un monde plus cauchemardesque encore.

Les niveaux des ponts sont autant de strates de cette société inégalitaire où les femmes sont toutes les victimes des hommes et où les voyageuses de couleur sont les dernières des derniers dans l’échelle d’une humanité qui ne les voit presque plus comme appartenant à part entière à cette humanité. Des outils, des corps, des ventres, voilà à quoi se réduit la vie des noires à bord du Matilda. Donner un nom féminin à un vaisseau qui traite aussi mal les femmes est un symbole d’une ironique cruauté pour l’auteure.

Enfin, il y a aussi la foi, la foi dans les Cieux, celle-là même qui cautionne la Souveraineté et l’ordre établi. Un ordre moral qui maltraite les non genrés, celles et ceux qui ne se reconnaissent pas dans le corps que la nature leur a imposé. Aster est de ceux-là. Elle se voit neutre, accepte le féminin, mais l’article iel lui convient mieux. Les mutations ont au fil du temps détérioré bien des certitudes quant au sexe des êtres, mais il y a encore certains voyageurs qui ont fait des choix. Ainsi Aster a choisi, avec l’aide du Général-Chirurgien Théo de retirer ces organes dans lesquels elle ne se reconnait pas et qui l’aurait enchaîné à sa nature d’origine.

La couverture d’Elena Vieillard nous montre des strates d’hommes sans expression, mais au visage blanc, sec et anguleux. Des visages acérés comme sont cruels leurs mots et leurs actes. Et en tout premier plan, le visage anonyme d’une femme noire qui ne se dissimule pas, n’a pas peur de sortir du rang, reflète parfaitement le combat d’Aster. Aster et les autres personnages sont bien plus que cela, mais il faut découvrir leurs liens, leurs émotions, leurs révoltes. Il faut ressentir le frisson que cette lecture procure. Dans les derniers ponts, dit-on, il est les fantômes, les pensées des ancêtres, et c’est auprès de celui de Lune, sa mère, qu’Aster trouve la nature de sa révolte.

Ce premier roman de Rivers Solomon est une œuvre forte, porteuse de la culture afro-américaine pourtant diluée dans ce vaisseau du futur. C’est dans cette culture que L’incivilité des fantômes puise toute sa force. C’est dans ses fibres qu’un être porte, même s’il en ignore tout, l’histoire de ceux dont il est la résultante génétique. Les femmes portent les enfants comme l’histoire de leur peuple. La science n’explique pas tout. Intuitivement, les erreurs du passé remontent à la surface et les révoltes rédemptrices elles aussi réapparaissent. Une œuvre éprouvante, mais au-delà de la science-fiction, il s’agit bien d’une grande œuvre littéraire dont la pensée qui y est exposée va durablement marquer le lectorat.

L’incivilité des fantômes
Rivers Solomon
Couverture illustrée par Elena Vieillard
Traduction par Francis Guévremont
Éditions Aux forges de Vulcain
Collection Littératures
2019

20,00 €

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