Entretien avec Dimitri Pawlowski, éditeur de l’Homme Sans Nom

 

Bonjour, et merci de prendre quelques minutes pour répondre à mes questions. Peux-tu tout d’abord te présenter à nos lecteurs et nous expliquer comment tu es devenu l’éditeur de l’Homme Sans Nom ?

Bonjour aux lecteurs et lectrices ! Alors, donc, je suis Dimitri Pawlowski, fondateur des éditions de l’Homme Sans Nom, autrement appelées « éditions HSN », et qui ont maintenant huit ans et demi. Après un parcours assez varié et éclectique dans le monde de la culture et de l’édition (travail en tant que journaliste freelance dans les cultures de l’imaginaire, en librairie, ou encore en maison d’édition de manga et dans l’événementiel au sein de l’équipe de Japan Expo), l’ensemble de ces expériences m’a assez naturellement mené vers l’envie de lancer un projet personnel. D’autant que, connu pour travailler dans le monde de l’édition alors que j’ai secrétaire d’édition en maison de manga, mes connaissances de World of Warcraft aux aspirations littéraires m’envoyaient pour certains leurs projets de romans, et voir de parfois très bons textes sans éditeur a conduit à orienter ma décision. Comme quoi, les MMORPG peuvent mener à tout !

Et pourquoi ce nom qui n’en est pas un d’ailleurs pour la maison d’édition ? Une référence quelconque ?

Très basiquement, c’est que je ne trouvais pas de nom pour la maison d’édition ! Du coup, dans mes nombreuses réflexions pour avoir le « bon nom », celui qui reflète l’identité du projet tout en étant aisé à retenir pour les lecteurs et ait malgré tout un relatif potentiel « marketing », un peu pour la blague, je me suis dit que j’allais les appeler « Éditions Sans Nom ». Seul problème, cela manquait un peu de saveur, ça restait un peu plat. Et j’ai repensé à mes discussions avec des connaissances de chez Bragelonne, qui m’ont expliqué qu’ils avaient choisi ce nom parce qu’ils étaient fan de Dumas. Cela a trotté dans ma tête, et, en grand fan à la fois de l’Odyssée, mais aussi – voire surtout – de Clint Eastwood, rajouter le « Homme » est venu assez naturellement. Et cette histoire est une véritable exclusivité pour eMaginarock, je crois que c’est la première fois que je la raconte « officiellement » !

On voit un peu moins L’Homme Sans Nom sur le devant de la scène ces derniers mois. Prépares-tu un gros coup ?

Tout à fait. Et pas qu’un seul. Le principal, et le plus certain, est que L’Homme Sans Nom va évoluer en matière de diffusion/distribution. Nous avons en effet signé pour rejoindre Harmonia Mundi, qui devrait nous aider à passer une nouvelle étape dans notre présence en librairie, et dans la facilité qu’auront nos auteurs à être découverts et suivis. Je tiens à préciser que notre départ de chez notre diffuseur/distributeur actuel, Makassar, est exclusivement dû à une évolution naturelle pour L’Homme Sans Nom, le travail qui était effectué par notre partenaire étant excellent, mais trouvant malheureusement ses limites en matière de littératures de genre, vu qu’ils sont de leur côté bien plus spécialisés BD. Je leur suis extrêmement reconnaissant de m’avoir accompagné comme il l’ont fait pendant un peu plus de quatre ans. Sans leur présence à mes côtés, je pense que je ne serais plus forcément là !

En parallèle, j’ai l’immense plaisir d’accompagner Oren Miller dans la création d’une formation d’auteurs et d’autrices, Licares. L’idée forte du projet est de ne pas simplement permettre aux participants d’apprendre à « écrire un bon livre », mais bel et bien de les former au « métier d’auteur ». J’ai de mon côté le plaisir d’apporter la facette « éditeur » au projet.

Et il y a deux ou trois autres petites choses dans les tiroirs, mais tant que rien n’est signé, je préfère ne pas en parler !

Quels sont tes coups de cœur de ton catalogue 2019 ?

Avec juste deux parutions en 2019, c’est un peu une question du type « lequel de tes deux enfants tu préfères ». Après, j’ai eu un énorme coup de cœur pour Les Bras de Morphée, de Yann Bécu, mais c’est clairement là une question de sensibilité personnelle. C’est un texte bourré d’humour, décalé et très astucieux, une approche très surprenante de dystopie, avec une humanité frappée par une étrange vague de sommeil faisant dormir les gens à heures fixes en moyenne vingt heures par jour. Et on suit une galerie de personnages dans un Prague légèrement futuriste, pour voir comment l’humanité a géré le problème ; notamment via le quotidien du personnage principal, un professeur de français désœuvré, car un des rares veinards à moins dormir que la moyenne, et qui est donc devenu troll professionnel pour arrondir ses fins de mois : il est payé pour faire perdre du temps aux gens ! Bourré d’idées, le roman ne se contente pour autant pas de proposer des vignettes drôles ou mélancoliques, il a une vraie ligne directrice, un vrai fond qui va accompagner le lecteur tout au long de sa découverte du texte.

Après, Prototypes d’Adrien Mangold n’en reste pas moins un excellent texte, qui vient confirmer que son auteur est en train de s’installer petit à petit dans le paysage SF et imaginaire francophone, avec un roman très intelligent qui va parler de l’éthique autour des IA et et des androïdes. Sujet d’actualité traité avec beaucoup de finesse dans un univers futuriste brossé avec un soin de dingue.

Peux-tu nous en dire plus sur les prochaines parutions à venir pour la maison d’édition ?

L’année 2020 va démarrer un peu tardivement – pas de sortie avant avril, pour cause du changement de diffusion, justement – , avant de de retrouver nos rythmes plus habituels de 4 à 6 nouveautés à l’année. Le programme est encore susceptible de bouger un peu, mais les grandes lignes sont là, et l’année s’ouvrira avec Les Chats des neiges ne sont plus blancs en hiver, un roman de fantasy magnifique, porté par un souffle poétique et mélancolique, écrit par Noémie Wiorek, une nouvelle autrice HSN. Pour l’anecdote, j’avais rencontré Noémie lors du speed dating des Imaginales 2018, et la rencontre avait été assez amusante : elle avait juste eu le temps de me pitcher son roman en deux ou trois phrases que je l’avais interrompue, pour lui dire que ce n’était pas la peine d’en dire plus… car je voulais lire le texte. Et l’impression que j’avais eu lors de son micro-pitch s’était confirmée à la lecture de son texte, qui, au final, sera un peu dans la même veine que Que passe l’hiver de David Bry, avec un roman très sensible et poétique… Je souhaite clairement à Noémie le même parcours !

En parlant de David Bry, justement, nous publierons son nouveau roman « adultes », La Princesse au visage de nuit, en fin d’année. Un très beau texte sur lequel nous travaillons en ce moment même avec David, qui va permettre de replonger dans toute la sombre poésie de l’auteur à travers un roman fantastique contemporain, une forme de conte de fées pour adultes.

Côté nouveaux auteurs, il devrait y avoir en plus de Noémie encore une ou deux arrivées. Je viens de signer avec Julia Richard pour Carne, un roman qui va rejoindre notre collection de titres fantastiques, même si c’est un peu inclassable, un texte à la croisée de Palahniuk et de Cronenberg. Je n’en dis pas trop – nous n’avons encore rien annoncé sur le texte en dehors de cette interview -, mais c’est un texte brut, intelligent et viscéral qui attend les lecteurs.

Pour le reste, c’est soit encore en discussions (donc tant que rien n’est officiel, je n’en parle pas), soit soumis au rythme de travail des auteurs déjà installés dans la maison (donc, pour ne pas leur mettre une trop grosse pression, je n’en parle pas encore non plus !).

Comment sélectionnes-tu tes manuscrits ?

Concernant les manuscrits – au sujet desquels je devrais enfin bientôt rouvrir les soumissions si tout se passe bien -, je mets un point d’honneur à tous les examiner par moi-même avant de les confier à de potentiels lecteurs externes. Au bout de quelques pages, je me fais déjà une première idée, qui me permet de déterminer si je vais continuer la lecture parce qu’il y a quelque chose qui m’attire, si je vais continuer la lecture pour pouvoir fournir une réponse négative aussi constructive que possible, ou bien si je vais confier cela à des lecteurs externes. C’est aussi l’avantage de publier peu : avec mon équipe, je peux choisir les manuscrits avec soin et de manière très personnalisée. Mais ça implique aussi que les critères de sélection sont particulièrement stricts : si le texte doit avoir un potentiel commercial (il faut tout de même en vendre quelques exemplaires pour pouvoir continuer à publier), il faut qu’il corresponde à la ligne de la maison, aux tendances que je recherche plus spécifiquement sur le moment, ou encore à des questions de taille de texte (les romans HSN font quasi tous entre 450 000 et 850 000 signes, nous ne publions jamais de sagas de plus de trois volumes, pour citer deux des critères les plus évidents), et, tout bêtement, mais c’est clef, il faut qu’il me donne envie de le défendre. Et pour chacun de ces critères qui ne serait pas là (hors le « il me donne envie », évidemment), il faut que le coup de cœur de l’équipe éditoriale soit encore plus grand pour pouvoir faire l’écart par rapport à nos usages ou ce que nous recherchons.

Quel conseil donnerais-tu à un auteur qui souhaiterait rejoindre le catalogue de l’Homme Sans Nom ?

De bien écrire, déjà. Blague mise à part, si je ne cherche pas nécessairement des plumes ultra-travaillées, j’ai un goût pour les écritures avec de la personnalité et une certaine maîtrise. Ensuite, de ne pas hésiter à venir me rencontrer sur des festivals… de préférence lors de moments de creux, ou sur les jours où il y a moins de monde (je ne compte plus le nombre d’écrivains venant me rencontrer à 14 h un samedi après-midi durant Livre Paris !). D’être patient – je mets du temps à traiter les textes, même si j’essaie de me soigner. Et d’être prêt à passer du temps avec moi : on va travailler sur un texte ensemble, on va passer du temps sur des festivals ensemble, et ainsi de suite. À l’échelle de l’Homme Sans Nom – et je pense de la grande majorité des maisons d’édition d’imaginaire indépendantes -, le texte est une chose, mais les affinités humaines sont également clefs ; dans le cas où ça ne « matche » pas avec un auteur ou une autrice (que ce soit dans un sens ou dans l’autre, d’ailleurs), je pense qu’il vaut mieux éviter de se lancer ensemble. C’est déjà suffisamment complexe comme activité quand tout le monde s’entend bien, alors s’il y a des soucis d’affinités…

Enfin, de ne pas oublier qu’on fait de la littérature de genre, et qu’il faut voir ça comme une activité qui – malheureusement – ne permet hors cas de figure extrêmement inattendu de plaquer tout le reste pour vivre de sa plume. Les choses bougent – le grand public s’intéresse de plus en plus au genre, notamment -, mais il faut voir cela comme une façon de prendre du plaisir en faisant quelque chose qu’on aime, permettant de dégager un complément de revenu qui va de léger à très correct, plus que comme l’unique activité professionnelle qu’on peut mener.

Tu mènes également une double-vie puisque tu es également traducteur/correcteur. Comment gères-tu simultanément ces différents aspects de ta vie ?

C’est au final assez complémentaire, puisqu’on reste dans des domaines de l’écrit et de la maîtrise de la langue, et que les deux activités permettent de se ressourcer lorsque l’une des deux vient un peu trop s’imposer au quotidien. Certes, ça implique de – très – grosses semaines parfois, mais les deux activités sont tellement passionnantes que je prends plaisir à les mener de front ; le jour où l’une des deux pourrait être amenée à s’imposer comme indispensable pour des questions organisationnelles ou financières, je me poserai peut-être la question de faire bouger les lignes entre les deux mais, pour l’heure, je prends un immense plaisir à mener de front les éditions HSN et HSN-LOCA, le studio de traduction que j’ai lancé avec Nicolas Pujol, mon binôme installé au Japon, et avec qui nous proposons essentiellement des services de traduction de jeu vidéo. Nous avons notamment réalisé la traduction de Trails of Cold Steel III, sorti récemment, un travail titanesque avec un texte final de pas loin de 5 millions de signes (pour référence, un roman de 400 pages chez nous, c’est environ 750 à 800 000 signes…), une équipe de 6 traducteurs sur le boulot, de l’uniformisation à tout-va, et des enjeux au final assez dingues.

Quel est ton dernier gros coup de cœur littéraire, en dehors de ta maison bien entendu ?

Je ne l’avais jamais lu, et c’est loin d’être une découverte d’un auteur inconnu puisqu’il s’agit de Watership Down, de Richard Adams (autrement appelé La Colline aux lapins), une superbe fresque épique mettant en scène des… lapins. Et si je peux citer un coup de cœur « en cours », je suis en train de lire Solénoïde, de Mircea Cartarescu, un texte complètement halluciné au croisement de Borges et  Kafka, traduit du roumain. C’est d’une brillance littéraire vraiment dingue, avec une ambiance hypnotique qui attire le lecteur en son sein et fait qu’on a vraiment du mal à poser le livre.

Maintenant, je lis au final bien moins de romans (et surtout de romans de genre) que j’en lisais avant de monter la maison d’édition. Outre le fait que j’ai envie de découvrir d’autres choses que ce dans quoi je travaille, pour me changer un peu les idées, j’ai des goûts au final extrêmement éclectiques, je reste particulièrement cinéphile, je suis joueur de jeux vidéo et de jeux de rôle, lecteur de comics et de mangas, et j’ai donc des lectures parfois un peu différentes de l’image qu’on peut avoir de l’éditeur d’imaginaire qui ne lit que de l’imaginaire. Cela me permet de me ressourcer, de découvrir aussi des tendances par d’autres biais que le seul livre (le temps de lire un livre, j’ai la possibilité de voir une poignée de films), et de mener des lectures un peu « différentes ». Après, c’est aussi quelque chose qui va par périodes, et j’ai cette année commencé à reprendre un rythme de lecture de romans (et de romans de genre) bien plus dense. Le tout est de continuer à prendre du plaisir, notamment aussi pour ne pas me dégoûter à cause d’un trop-plein qui se trouverait à nuire à mon activité d’éditeur.

Merci beaucoup pour tes réponses et à bientôt au détour d’un salon ou d’une dédicace !

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3 thoughts on “Entretien avec Dimitri Pawlowski, éditeur de l’Homme Sans Nom

  1. Bonjour,
    j’aimerai entrer en contact avec Dimitri mais acceptera t-il d’une femme (moi) qui a 81 ans ?
    Afin de tordre le cou à la solitude j’écris des romans où la romance s’accouple avec des énigmes policières, l’ensemble soupoudré d’aromates psychologiques.
    Avec ma sincère cordialité.
    Gysèle Grama leau.

  2. Bonjour,
    J’ai un réel besoin de contacter Dimitri pour avoir son conseil. À 82 ans j’écris mais il y a des lacunes, j’aimerai soumettre quelques pages à Dimitri afin de savoir si je dois continuer.
    Merci de me répondre.
    Gysele

    1. Bonjour,
      Pour le contacter passez par la page de sa maison d’édition, ou bien le formulaire de contact de son site.
      Bonne journée
      Cordialement

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