Entretien avec Christine Luce, à l’origine du projet La Ligue des écrivaines extraordinaires

Bonjour, et merci de bien vouloir répondre à nos questions !

Bonjour, et je te remercie également pour ton invitation à répondre à celles-ci !

Pour commencer, pourrais-tu nous présenter ton projet : « La ligue des écrivaines extraordinaires » ?

C’est la nouvelle collection des Saisons de l’Étrange, une édition indépendante et professionnelle (c’est-à-dire avec un suivi des manuscrits et rémunératrice pour les auteurs en plus de la gestion éditoriale) et spécialisée dans les romans pulps. Les éditeurs ont publié deux séries, La Saison de l’étrange en 2018 et La Saison de l’épouvante, en cours.
Pour 2020, en parallèle de la troisième série des Saisons, je lance avec eux cette collection plus ancrée encore dans le domaine du pulp avec la création d’un background spécifique dans lequel existe la Ligue et ses personnages : les écrivaines célèbres, Ann Radcliffe, Jane Austen, Mary Shelley, les sœurs Brontë, et les créatures des mythes modernes, Frankenstein, les vampires, le loup-garou, la momie, etc.

Notre univers n’est cependant pas figé dans une stase temporelle du XIXe siècle, il intègre l’imaginaire créé par les romanciers et leurs monstres qui s’est développé jusqu’aujourd’hui. Qui n’a jamais entendu parler de Frankenstein ou de Dracula ? Les vampires, pour ne parler que d’eux, ont hanté les films de la Hammer avant de s’engouffrer dans les romans d’Ann Rice, quand elle en invente la nouvelle figure emblématique de Lestat, pour enfin servir de protagonistes à Buffy, la chasseuse, comme Angel et Spike. Et ces créatures surnaturelles sucent le sang de notre culture depuis plus de deux siècles, parce qu’Ann Radcliffe en dispersa les premières émanations dans ses romans noirs, du gothique dont elle était une précurseure…
Tout le monde doit déjà deviner que les récits fondateurs et ceux écrits ensuite, ainsi que les innombrables adaptations filmiques, sérielles, ludiques ou en bandes dessinées, nous passionnent, difficile de nous en cacher. À l’image de ce formidable imaginaire collectif, les romans que nous proposons sont fantastiques et fun, avec la « touch » féministe, une sorte de série Netflix littéraire.

Leur genre féminin mis à part, comment les auteures ont-elles été choisies ? 

Nous avons proposé le cahier des charges de la série et un contrat à des femmes passionnées elles aussi par la culture populaire, pop culture, geek culture, qu’importe ses variantes et le nom qu’on lui donne, celle qui évolue et se partage de génération en génération, inventive et riche de la diversité de ses imaginaires. Toutes ces femmes sont de grandes lectrices « omnivores » que les frontières entre les genres n’effraient pas. Les unes ont une expérience de l’écriture dans le domaine de la nouvelle depuis plusieurs années, Bénédicte Coudière, Marianne Ciaudo, Sushina Lagouje, Laurianne Gourrier pour Galaxies, Rivière Blanche, Malpertuis, etc. Les autres sont des romancières confirmées, Nelly Chadour (Espérer le soleil, Hante voltige), Élisabeth Ebory (La Fée, la Pie et le Printemps), Cat Merry Lishi (La Conjuration des fous) et moi-même (Les Papillons géomètres) pour Les Moutons électriques, ActuSF, Les Saisons de l’étrange.
Pour ma part, je suis également anthologiste : Bestiaire humain (Bibliogs) et SOS Terre et Mer (publication indépendante de solidarité des gens des métiers du livre de l’imaginaire avec les sauveteurs en mer, diffusée bénévolement par les Moutons électriques), et essayiste pour les « mauvais genres », j’ai assuré récemment la publication d’un livre d’art, Grands peintres féeriques, toujours chez les Moutons électriques, pour lesquels je dirigerai l’an prochain la collection Artbooks, consacrée aux illustrateurs de l’extraordinaire.
En résumé, nous sommes toutes passionnées et entrées dans le domaine professionnel.

On parle de plus en plus de la place des femmes dans la littérature et du manque de médiatisation dont elles sont souvent victimes. Y avait-il une volonté égalitariste derrière ce projet ?

Plutôt qu’une volonté égalitariste, il s’agit effectivement d’enlever le voile opaque qui plane sur leur place, les femmes l’ont toujours occupée dans la fabrication de notre imaginaire collectif. Le féminisme de la collection pourra paraître provocateur aux yeux de certains, mais ce n’est pas notre objectif de les éblouir comme des lapins sur la route par un phare. Au contraire, nous souhaitons leur offrir un point de vue sur le panorama complet de la littérature, c’est l’affirmation tranquille de son existence, nous n’avons rien à prouver de plus que ne l’ont déjà démontré Ann Radcliffe et Mary Shelley, il y a plus de deux siècles. Sans la première, où en seraient le surnaturel et le gothique ? Et la créature de Frankenstein, cette réflexion sur l’aspect scientifique de la création humaine, qui l’a propulsée dans la société ? Et avec cette idée originale, la deuxième a posé les premières fondations de ce qui deviendrait la science-fiction. Les écrivaines extraordinaires que nous mettons en scène ont bouleversé le chemin de la culture. Jane Austen, les sœurs Brontë, Selma Lagerlöf, Virginia Woolf… et Madame Leprince de Beaumont avant elles : il suffit de penser à l’impact international de son conte La Belle et la Bête.

Les romans que tu proposes appartiennent au genre fantastique, un genre qui n’est pas toujours très bien représenté dans la littérature de l’imaginaire. Pourquoi ce choix ?

En fait, il n’est plus très bien représenté, car il le fut pendant très longtemps dans les mythes et légendes, dans les contes, puis plus spécifiquement surnaturel dans les romans. En littérature, le fantastique a subi l’assaut de genres modernes tout aussi intéressants, la science-fiction et la fantasy, il s’est incliné sans vraiment disparaître, ou il faudrait oublier les romans horrifiques de Stephen King. Il a peut-être surtout faibli en France, nos gros éditeurs se montrant particulièrement frileux face aux risques locaux, il est toujours plus facile de traduire un succès étranger, déjà travaillé et promu par d’autres éditeurs, que d’accompagner un auteur francophone vers ce succès.
Pour nous, les petites structures indépendantes, c’est sûrement un défi de la taille de Goliath quand nous souhaitons remettre au goût du jour un genre pourtant florissant sur les écrans, il n’y a qu’à se pencher sur les programmations actuelles de Netflix, par exemple Stranger Things revival des 80’, The OA et son atmosphère « Kingienne », ou mieux encore, Penny Dreadful, un hommage délirant aux pulps horrifiques du XIXe, avec Frankenstein et sa créature, et avec le sulfureux Dorian Gray, le héros d’un non moins grand écrivain transgresseur, Oscar Wilde.
Les Saisons de l’étrange ont déjà misé par deux fois sur leur désir commun avec les lecteurs de lire du pulp de tous les genres imaginaires. Pour cette nouvelle collection, ou série pour accentuer nos similitudes avec le média audiovisuel, et malgré l’écueil de la taille et des moyens, nous avions bon espoir de rassembler un public, un espoir satisfait avec la Ligue des écrivaines extraordinaires puisque la collection est d’ores et déjà financée dans sa première partie. Les quelques jours restants avant la fin de la souscription sur Ulule conforteront la réussite de notre défi et nous permettront de continuer plus loin : rejoignez-nous !

Pourquoi avoir choisi un financement via Ulule ? Peux-tu d’ailleurs nous parler un peu plus de ce financement ?  

Monter une entreprise est difficile, et quand elle est culturelle, la tâche se complique davantage. De nos jours, elle a peu de chance d’être viable si, après les frais de fabrication et d’expédition incompressibles, elle souhaite rémunérer l’équipe qui la crée ensemble avant de sacrifier son budget à tous les périphériques publicitaires ou de diffusion. Un financement participatif réduit l’utilisation de services à celui d’Ulule, lequel prélève un intéressement en pourcentage de la somme recueillie, comme tu le sais. Sans prêt et donc sans dette de remboursement, nous nous adressons directement aux lecteurs afin de leur proposer notre travail, nos compétences et nos talents. Et aussi à la presse culturelle et aux communautés susceptibles de soutenir nos projets, j’en profite pour réitérer mes remerciements chaleureux pour ton accueil sur le site eMaginarock.

D’autre part, comme nous en convenions à la question précédente, la littérature fantastique stagne en creux en France, le circuit classique du livre nous ferme les portes, peu désireux de risquer sa routine au-delà des succès déjà éprouvés. Disons que nous estimons que la littérature exige de prendre des risques, quand on désire la promouvoir, alors nous les prenons, mais avec les lecteurs, car nous désirons vivre de nos activités artistiques, pas seulement de visibilité et d’eau fraîche. Nous leur proposons donc une collection littéraire, sans goodies ni surprises à part elle-même et ses atouts largement exposés : pour l’instant, cinq livres inédits, avec belles couvertures illustrées et protégés par un étui, écrits par cinq romancières, le tout édité par des professionnels, lesquels ont déjà à leur actif deux années de publication réussie.

A qui conseillerais-tu ces livres ?

En lectrice dévoreuse et éclectique, je m’exclamerais bien : « À tous ! », mais pour préciser dans le domaine de l’imaginaire, aux amateurs des genres qui le composent, sans exclusion d’âge ou de sexe. C’est avant tout du pulp, ces récits qui ont toujours enchanté les fins de journées moroses en lui apportant de la fiction extraordinaire.

Si tu devais être une célèbre héroïne issue d’un roman fantastique, ce serait laquelle et pourquoi ?

Elle n’est pas l’héroïne d’un roman, mais d’un cycle de bandes dessinées fantastiques de Jacques Tardi : Adèle Blanc-Sec, son indépendance et l’intégrité de sa ligne de conduite personnelle, sans maître. En réalité, pour tous ses aspects sauf un qui m’a toujours embêtée de la part de son créateur : pourquoi provoque-t-elle tant la jalousie des autres femmes ? À moins que ce soit de l’envie, j’aurais mieux compris. Mais je ne doute pas de l’admiration qu’il témoigne pour l’être humain qu’elle représente. Et puis Adèle était feuilletoniste et elle écrivait des pulps dans les années 1920 !

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