Tolkien – Dome Karukoski

Le jeune soldat J.R.R. Tolkien se remémore les années passées à étudier avant que la grande Guerre ne le sépare de ses amis.

En 2013, le scénariste David Gleeson fasciné par l’histoire personnelle de Tolkien propose à Chernin Entertainment, une adaptation biographique basée sur l’histoire d’amour de l’écrivain avec sa muse (Edith Bratt) et sur le cercle/club d’écriture informel dont faisait partie Tolkien. Le film sortira finalement en 2019 sans l’aval des héritiers du maître qui ont jugé les libertés prises avec la vraie vie de l’auteur beaucoup trop importantes. Quand on lit un peu sa bio, force est de constater que c’est une réalité et que nous avons là un film réellement romancé, plutôt qu’un réel biopic. C’est fort dommage, la vraie vie et personnalité de Tolkien auraient largement été suffisantes pour faire un film tout à fait bon. Ici nous partons plus sur quelque chose de ciblé et réinterprété à la mode de certaines adaptations de livres pour lesquelles tout le monde crie au scandale… il n’en reste pas moins que le film est très bien fait.

Le travail de Dome Karukoski est remarquable. Il dit lui même être orphelin de père et la passion de Tolkien pour la Finlande a fait le reste : “Je suis fan de Tolkien depuis l’âge de 12 ans. Le plus important pour moi était d’apporter à ce film toutes les émotions que j’ai ressenties en lisant ses livres. Tolkien est une merveilleuse histoire d’amour et d’amitié. C’est l’histoire d’un orphelin qui fait de ses amis une véritable famille, qui part à la guerre et tombe amoureux d’une femme qu’il aimera pour l’éternité. En même temps, le film traite de la façon dont Tolkien, dans son génie créatif, est parvenu à intégrer ces choses bien réelles que sont l’amitié, la guerre ou l’amour à des univers fantastiques incroyablement vivants.” . Néanmoins les détracteurs restent nombreux et il s’est expliqué plusieurs fois à ce sujet (comme par exemple ici : http://www.lefigaro.fr/cinema/tolkien-le-realisateur-du-biopic-s-explique-sur-les-libertes-prises-dans-son-film-20190507).

C’est donc bien une plongée dans ce que Karukoski pense être la façon de se construire un imaginaire de Tolkien, dont traite le film… en interprétation libre.

Le film démarre dans une tranchée, en pleine première guerre mondiale. Le jeune capitaine Tolkien, atteint par la fièvre des tranchées sort de sa tente après avoir lu une lettre. Il se met en tête de retrouver son camarade Geoffrey Smith, au front, plus loin au bout de la tranchée. Déjà son esprit délire et il voit (littéralement) dragons et orques avancer sur lui. Cela ne dure qu’une seconde et nous voyons immédiatement les soldats ennemis avancer sur ces pauvres ères. À chaque bouffée de gaz, une autre vision. À chaque clignement de yeux, un autre souvenir. Nous voilà dans une campagne verdoyante, vallonnée, des jours heureux sous les arbres avec mère et frère. Mais un jour, le malheur frappe et Mère leur annonce qu’il faut partir pour la ville. Parce que Père est mort et que le père Francis Morgan leur donne une chance de continuer à survivre. Mais Mère bien qu’énergique et s’occupant ardemment de ses enfants et de leur imaginaire, meurt rapidement et les deux jeunes orphelins sont placés chez Mme Faulkner, riche rentière qui recueille les pauvres enfants abandonnés. Ils y rencontrent Edith, qui s’avérera être plus tard, la muse et femme du jeune Ronald. Ronald est envoyé à la King Edward ‘s school, où il montre un réel don pour les langues et finit par se faire de vrais amis : Robert Gilson, Christopher Wiseman et Geoffrey Smith, avec qui il créa un club secret surnommé le Tea Club and Barrovian Society (TCBS).

La vie de Tolkien est jalonnée de mots, leur beauté, leur sens, leur son. Les langues ne sont qu’un support, mais quel support ! Il invente, écrit, dessine, parle, vit ces mots. Il voit des images jusque dans les arbres et invente des alphabets complets. Cette aptitude lui permet de continuer ses études (selon le film). Le TCBS est présent tout au long de sa vie et Edith lui donne un souffle et une inspiration constante. Elle lui parle de sa passion pour Wagner et de l’anneau du Nibelung (Tolkien a toujours nié cette comparaison directe affirmant que : « Ces deux anneaux [l’Anneau unique et l’Anneau des Nibelungen] sont ronds, et c’est là leur seule ressemblance », une des nombreuses incohérences du film)… bref, elle l’inspire chaque jour et chaque instant.

La partie traitant du TCBS est assez énorme dans le film. Elle est très centrale, et occupe presque tout l’espace. Les différentes parties sont coupées par des scènes de guerre toutes plus réalistes les unes que les autres. On imagine très facilement l’ambiance mortifère qui semble durer des heures, avec ici et là une vision fugace d’un être potentiellement surnaturel… ah non. Ce n’était qu’un autre donneur de mort.

En attendant, la photographie est assez intéressante. Le travail sur la lumière est vraiment bien mené, nous baladant d’ambiance en ambiance avec une facilité déconcertante. La couleur de l’enfance, la violence et la noirceur de la guerre et enfin la lumière de la sérénité enfin trouvée auprès de sa femme. Tolkien est au centre de tout, même des mouvements de caméra. Elle le suit comme une ombre et jamais ne change du rythme qu’il lui impose. On sent et voit toute l’intelligence et la perspicacité du personnage, rien qu’à travers la façon dont il évolue dans la vie. C’est très romancé, c’est assez clair et c’est une jolie histoire. Mais elle est trop fade comparée à la réalité et pour un fan, c’est une immense déception. Certes on en apprend un peu sur la construction de ce qui l’a mené à son œuvre littéraire mais c’est minime. On voit parfaitement que les arbres ou autre nature ont fortement influencé certains écrits.

En bref, le film n’est pas mauvais, loin de là. Les acteurs sont plutôt excellents et on s’attache aisément à ce fou qui a inventé un langage complet tout en en décodant d’autres, totalement inconnus jusque là pour moi. Les scènes de guerre et d’esprit sont particulièrement belles et je ne saurais que recommander le côté très « cercle des poètes disparus » que j’ai trouvé très très mis en avant. Certains détails sont exacts, mais la fiction est vraiment très présente. Alors les vrais fans : n’y allez pas, vous risquez de hurler. Les autres, pourquoi pas. Sachez tout de même que vous n’aurez pas plus qu’une histoire d’amitié masculine et un amour naissant. Happy Ending, of course.

TOLKIEN

réalisé par Dome Karukoski

scénario de David Gleeson et Stephen Beresford

avec : Nicholas Hoult, Lily Collins, Anthony Boyle, Patrick Gibson, Tom Glynn-Carney

20th Century Fox

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