Smalls Change (Meditations upon Ageing) – Derek Smalls

Pas un metalleux ne peut ignorer Spinal Tap. L’ampli à 11, le 32ème batteur de la formation qui explose, la pochette d’album (Smell the Glove) toute noire, le groupe égaré en coulisses, le Stonehenge miniature sur scène… Faux biopic d’un vrai-faux groupe de heavy-metal (l’extrait qui montre leur évolution est un régal) et vraie parodie du milieu musical rock (du management aux musiciens), le film a perçu et reproduit tous les clichés du genre avec un étrange mélange d’ironie, de finesse et de grossièreté.

Les clips et la musique du groupe restent eux aussi inoubliables pour plein de raisons : jetez un œil et une oreille sur Bitch School, Hell Hole ou Big Bottom, joué avec 4 basses – et repris sur la scène du Live Earth de Londres en 2007 avec de nombreux bassistes, dont… James Hetfield! – mais Stonehenge n’est pas mal non plus!

Le bassiste du groupe, Derek Smalls (Harry Shearer), peut-être le seul à vouloir faire revivre le délire, reprend sa carrière en solo. Mix improbable de Lemmy, Alice Cooper et du bassiste de Saxon à la grande époque, a publié un disque rafraîchissant, Smalls Change (Meditations upon Ageing) qui se veut tout autant musical (avec de nombreux invités, mentionnés pour chaque morceau) que décalé. Le résultat de son travail reste parfois difficile à décrire… Qu’en est-il exactement ?

Le premier morceau, Openture, joué avec le Hungarian Studio Orchestra est une introduction narrative brève et pince-sans-rire déclamée d’une voix grave dans une ambiance cinématographique : « Age is just a number… ». Derek Smalls, les cheveux blanchis, annonce la thématique (logique) du disque ; la rock-star vieillissante. Rock ‘N’ Roll Transplant regroupe notamment Steve Lukather (Toto) et Chad Smith (Red Hot Chili Peppers). Le morceau débute sur la batterie, l’orgue est très présent ; c’est un morceau assez hard-rock, avec un bon refrain, des solos brefs et expressifs. Derek Smalls chante d’une voix de vieux bonhomme renfrogné, quelque part entre ZZ Top et Seasick Steve, en version comique. Suit le délicieux Butt Call (avec Phil X de Bon Jovi, et Taylor Hawkins des Foo Fighters) : après une intro en solo bruitiste et déconstruit (vive la whammy bar !), entrecoupée… de bruits d’ondes de portable, la voix de Derek Smalls entame un récit circonstancié sur une rythmique hard-rock construite sur la vibration d’un portable ! Le refrain est presque lyrique ; j’aime beaucoup le pont : les accords et les mélodies sont assez originaux. Une chanson bien construite.
Smalls Change, joué avec l’orchestre et de nombreux invités, comprend une intro orchestrale ; la voix est mi-narrative, mi-chantée, comme une sorte de conte médiéval de comédie musicale, sur des orchestrations changeantes et une batterie discrète. Le titre se transforme en power-ballad grandiloquente pas désagréable, avec des interventions solos qui rappellent Brian May de Queen.
Suit Memo to Willie. Ce superbe titre qui navigue quelque part entre rock chaloupé, cabaret à l’américaine et classic-rock, soutenu par des claviers et de bonnes interventions solos de la guitare, propose un refrain des plus réjouissants « Willie don’t lose that lumber » pour évoquer, semble t-il, les ravages de l’âge sur une partie sensible de l’anatomie masculine… It Don’t Get Old, joué notamment avec Peter Frampton, est le single de l’album. C’est un bon morceau parsemé de solos, assez blues-rock, même si le morceau est plus « sage » en termes de composition que le reste de l’album, malgré des paroles très philosophiques (épicuriennes, bien sûr) sur les groupies de rock-stars vieillissantes.

Complete Faith introduit Faith No More. L’orchestre est assez présent, le couplet peu mélodique, mais le refrain se rattrape. Pas le meilleur morceau de l’album. On revient sur du rock avec Gimme Some (More) Money, là encore peu original mais sympathique.
MRI, morceau avec Dweezil Zappa, surprend : le ventre mou du disque semble s’achever avec lui. La rythmique électro-rock, aux relents fin années 80, fait fortement penser à Frank Zappa – d’où l’invité. Un bon morceau, qui reste simple mais drôle. Le refrain est joyeusement débilitant, et les guitares superbes, pour qui ne s’attend pas à un solo metal dans les règles : on est clairement dans l’héritage du père de Dweezil. C’est donc un très bon pastiche.
Malgré la voix modifiée par un filtre pas forcément très heureux, la ballade presque horrifique Hell Toupee, jouée avec l’orchestre, fait mouche : ce petit conte gothique parodique, au refrain classique mais délicieux, est une récréation bienvenue et passionnante pour peu qu’on reste un peu attentif à la narration.
Restent Gummin the Gash, un bon morceau de hard-rock direct avec Steve Vai et Gregg Bissonette (qui en mettent partout) et Jane Lynch ; la montée en puissance débouche sur mon titre préféré : She Puts the Bitch in Obituary. Sur une rythmique en duo clavier/guitare très 80’s, Derek Smalls déroule un texte parodique de satire conjugale (« When she dies, she’s got a seat / On Satan’s fatal ferry (…) Her cooking’s filled with poison »), avec de bonnes mélodies. Le disque s’achève avec une grandiloquente nostalgie sur When Men Did Rock auquel participent Joe Satriani, Rick Wakeman et l’orchestre. Le bassiste, Derek Smalls lui-même, nous fait le coup de la citation virtuose d’une mélodie classique, parodiant ainsi Joey de Maio (Manowar). Un bon morceau qui rappelle le Stonehenge de Spinal Tap en même temps que tous les morceaux-fleuves de groupes progressifs seventies (Le Magician’s Birthday d’Uriah Heep, ou le Starless de King Crimson), avec un bon riff de clavier et un final classique.

Voilà donc un excellent disque, pas forcément évident à appréhender et à critiquer. Il y a parfois quelque chose de Frank Zappa dans certaines idées de ce disque, pas seulement dans MRI : le fait que son fils Dweezil vienne y poser quelques parties n’est pas anodin ! Il faut voir au-delà du délire : nombreux sont les groupes de rock ou de metal qui n’atteignent pas le quart de l’inventivité, musicale aussi bien qu’humoristique, de ce disque. Evidemment, il faut avoir l’esprit ouvert, une grosse dose de second degré… et une sono qui va jusqu’à 11 !

Smalls Change
Derek Smalls
Twanky/BMG Records
2018

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