Entretien avec Ketty Steward, autrice des Confessions d’une Séancière

eMaginarock : Bonjour Ketty, tout d’abord je te remercie de prendre le temps de bien vouloir répondre à quelques questions ! C’est ta toute première interview pour eMaginarock et, comme tu fais et as fait beaucoup de choses depuis un peu plus d’une dizaine d’années, il y a beaucoup de questions à te poser pour faire le point. Es-tu prête ?

Ketty Steward : On y va.

M. : Au niveau écriture, tu es très touche-à-tout, on ne peut pas t’enfermer dans une case ou un genre. Pourrais-tu donc nous parler en préambule de ce parcours qui t’a menée de la poésie aux nouvelles SF, puis de l’autobiographie aux contes martiniquais, pour savoir s’il y avait une « logique » de progression qui mènerait d’un ouvrage à l’autre ?

K.S. : Ma logique est simple. J’écris ce que je veux. Ou, plus souvent, ce que j’ai besoin d’écrire.

J’ai toujours raconté des histoires, mais il se trouve que les premiers écrits que j’ai montrés à des gens, à part mes sermons pour l’église, étaient des poèmes. J’écrivais de la poésie très classique dans la forme pour espérer mieux capturer le fond : les émotions que je comprenais mal. Certains de ces poèmes sont devenus ce qu’ils étaient déjà, des chansons. Avoir un public et des retours m’a aidée à m’améliorer et m’a encouragée à montrer mes nouvelles. C’était le début des années 2000, je vivais alors en Belgique, là où tout me semblait possible.

Mes premières publications datent de cette période. J’ai raconté un peu partout comment je me suis retrouvée à écrire de la SF, peu après ma rencontre avec le fandom et en particulier un de ses représentants, Alain le Bussy. Ça ne m’a pas empêché de commencer la rédaction des souvenirs qui formeraient la base de mon roman autobiographique Noir sur Blanc. Si le calendrier éditorial peut donner l’impression d’un passage d’un genre à un autre, la réalité, c’est que je n’ai jamais connu ces frontières. Ce que je fais, ce que j’aime, c’est écrire, tout simplement.

M. : Peux-tu nous raconter en quelques mots la genèse des Confessions d’une Séancière ?

K.S. : Au départ, c’est un peu de bric et de broc, comme beaucoup de ce que je fais. Les premiers récits devaient apporter une âme à un manuscrit un peu compliqué que j’avais entrepris d’écrire : la biographie, mi-documentée, mi-imaginaire de la sorcière noire, ma grand-mère. La nécessité de rassembler des informations factuelles, notamment sur la 2de guerre mondiale, a quelque peu essoufflé le projet qui est, pour l’instant, suspendu.

J’avais aussi écrit un texte, le même récit en français et en créole pour Joss Doszen qui voulait créer une collection de recueils sur les langues de la diaspora africaine. Là encore, un projet qui n’a pas abouti.

Pour autant, les histoires de sorcellerie et de village continuaient à m’interpeller. Les confessions, qui n’avaient pas encore ce nom, sont la mosaïque que j’ai imaginée et proposée à après avoir rencontré l’éditeur, Davy Athuil. J’ai rédigé les textes manquants, portée par son enthousiasme et celui de Li Cam, la directrice de la collection du Labo de Mü. La cohérence s’est construite au fur et à mesure.

M. : Dans les nouvelles de ce recueil, ni héros ni héroïnes, mais des gens sous toutes leurs coutures. Des gens parfois affreux qui le paient bien, mais aussi des gens qui n’ont rien demandé à part pouvoir vivre tranquilles et à qui il arrive des trucs franchement horribles. Qu’est-ce que tu as voulu faire passer à travers ces histoires ?

K.S. : Je pars rarement dans un récit avec un message. Tu soulignes l’importance accordée aux gens et c’est exactement ça qui m’intéresse. Des personnages, des parcours, des destins même, tels qu’on peut en observer autour de nous, dans leurs relations sociales, familiales et dans un réseau de croyances et de superstitions qui vont agir sur eux et à travers eux.

On retrouve parfois dans ces récits la structure et la morale des contes, mais pas systématiquement et pas nécessairement dans la direction attendue.

M. : Il ressort de ces nouvelles que tu aimes scruter les gens à la loupe. Peut-on y voir la marque de tes études de psychologie ?

K.S. : C’est possible. À moins que la décision d’entreprendre ces études ne soit un effet de mon intérêt pour le fonctionnement psychique des gens, leurs motivations, leurs failles… Je crois que j’ai toujours observé mes semblables.

M. : Dans les Confessions d’une Séancière, le fond est très travaillé, mais aussi la forme, avec ces poésies stylisées qui s’intercalent entre chaque nouvelle. Peux-tu nous expliquer la décision d’intégrer ces poésies au recueil et nous parler du travail important de mise en forme ?

K.S. : Les poèmes sont une idée de Li Cam. Les textes étaient livrés, nous commencions à les retravailler ensemble, quand elle m’a parlé d’incantations. « Toi qui écris de la poésie… peut-être… » L’idée me semblait bonne, mais je n’écrivais plus tellement de poésie. Un petit poème de temps en temps en cas de débordement émotionnel, mais rien de régulier. J’ai demandé à réfléchir.

Réfléchir, c’est dans la tête. Ce qui s’est passé n’avait pas grand-chose de cérébral, au bout du compte. Un samedi soir, ça devait être le bon moment, dans une sorte de transe, j’ai écrit en une fois les 16 incantations qui accompagnent les récits.

Le travail de mise en page de ces poèmes, c’est l’œuvre de Davy Athuil qui a pris le soin de valider avec moi chaque forme, chaque effet. Quand je dis que ce livre est une belle aventure collective, ce n’est pas pour faire joli. C’est vraiment ça et la couverture de Jean-Emmanuel Aubert en fait partie !

M. : Élargissons un peu à tes autres projets, car on croit comprendre que tu n’as pas trop le temps de t’ennuyer en ce moment (si tu lui demandes gentiment, je suis sûre que Lionel Davoust te prêtera son TARDIS). Tu as participé cette année aux rencontres et à la publication multi support afrocyberfeminismes, sous la direction d’Oulimata Gueye et de Marie Lechner. Veux-tu bien nous raconter brièvement cette expérience ?

K.S. : C’est vrai que l’année était riche ! (Lionel, je veux bien, s’il te plaît !)

Afrocyberfeminismes, c’est une aventure dont il reste une trace sur le site internet créé pour l’occasion.

J’ai eu la chance de pouvoir en discuter avec Marie Lechner et, plus encore, Oulimata Gueye, en amont du cycle proposé à la Gaîté Lyrique. Ce cycle de rencontres, conférences, débats, performances artistiques, se donnait pour objectif d’explorer l’avenir et la technologie d’un point de vue original : celui de la femme noire, pour changer de l’humain universel qui, comme chacun sait, est un homme blanc riche et en bonne santé.

Afrocyberfeminismes se réclamait d’Octavia Butler dont des extraits de l’œuvre étaient lus régulièrement.

J’ai assisté à l’ensemble des six séances et, pour trois d’entre elles, j’ai joué le rôle d’écrivaine invitée en rédigeant une nouvelle pour prolonger la soirée, en parallèle d’un autre artiste. C’était, à chaque fois, une prise de risque, sans autre filet que la confiance qu’elles nous ont accordée. Une très belle expérience.

M. : Tu as récemment dirigé deux numéros spéciaux de la revue Galaxie consacrés à l’Afrique. Comment t’est venue cette idée ? Étais-tu connaisseuse des littératures de l’imaginaire issues de ce vaste continent avant de débuter le projet ?

K.S. : J’ai en effet été nommée rédactrice en chef déléguée de la revue pour les numéros 46 et 55 de Galaxies. C’était en réponse à une proposition de Pierre Gévart à qui j’avais expliqué que je ne me sentais pas légitime, en tant qu’Antillaise ignorante des cultures du continent africain, pour proposer un texte dans le numéro spécial qu’il envisageait de faire. J’ai cependant souligné que j’étais très curieuse de ce projet. C’est d’ailleurs ainsi que j’ai rencontré Oulimata Gueye dont je parlais précédemment. Elle est curatrice et journaliste et le numéro « Africa SF ? » ne devait être qu’une petite partie d’un immense projet d’exposition que je ne désespère pas de voir se réaliser.

Le numéro 46, paru en avril 2017, propose une sélection de textes rattachés à la fois à un ou des pays d’Afrique et aux genres de l’imaginaire, tout en interrogeant la pertinence du regroupement géographique, d’où le point d’interrogation. Le numéro 55, « Regards sur l’Afrique » sorti en avance pour la convention française et européenne de science-fiction de juillet 2018 et paru officiellement en septembre, poursuit la réflexion en examinant l’image de l’Afrique dans l’imaginaire français. Julie Morin, écrivaine et chercheuse, y coordonne également un cahier dans lequel nous interrogeons ce que peut être l’Afrique au prisme des travaux scientifiques actuels.

Diriger ces numéros m’a permis de m’intéresser à d’autres voix de la science-fiction que je ne connaissais pas et de les faire découvrir aux lecteurs de Galaxies.

M. : J’ai eu la chance d’assister durant les Utopiales 2018 à la conférence présentant l’Université de la pluralité, à laquelle tu participes en compagnie de Daniel Kaplan, Catherine Dufour et Ariel Kyrou entre autres. Question de la part de tous ceux qui n’ont pas eu cette opportunité : qu’est-ce donc que cette université de la pluralité ?

K.S. : C’est un mouvement en cours de création, qui vise à mettre en réseau des gens du monde entier qui agissent pour permettre d’autres récits du futur que le récit dominant fataliste, technocentré et élitiste. Dit comme ça, on perçoit déjà la complexité du projet qui se trouve détaillé dans le site internet d’U+.

C’est Daniel Kaplan, longtemps actif dans le numérique, qui a réuni les premiers membres de l’Université de la pluralité et impulsé bon nombre d’actions, ateliers, séminaires, réunions de réflexion, auxquels j’ai pu participer, pour arriver à la première rencontre internationale, qui aura lieu le 30 novembre et le 1er décembre à Paris.

M. : Tu es une autrice engagée sur de multiples fronts. Entre les projets dont tu viens de nous parler, ta participation à l’anthologie Au bal des actifs : Demain, le travail publiée aux éditions La Volte en 2017 et ta participation à l’anthologie SOS Terre et Mer publiée chez les Moutons Électriques en version luxe et Le Novelliste en version souple en 2018, dont les bénéfices sont reversés à l’ONG SOS Méditerranée, tu sembles faire partie des personnes qui éprouvent le besoin d’agir. Comment définirais-tu ton rapport à l’engagement en faveur d’une cause ?

K.S. : Soyons clairs, je préférerais ne pas avoir à m’engager pour une cause ou l’autre. Je ne me sens pas l’âme d’une militante et je préfère, de loin, l’amour à la guerre et la sieste au combat. Pouvoir écrire pour la beauté du geste, pour le plaisir de la spéculation, pour l’amour des mots, serait une forme de bonheur, j’imagine. Mais nous vivons dans un monde que je ne peux pas ignorer et qui m’interroge sans cesse, qui heurte mes principes et qui est une blessure permanente pour ceux qui ne sont pas nés du bon côté du pouvoir. Un monde qui ne demande qu’à être changé. Alors j’essaie de faire ma part.

Dans ma vie professionnelle, dans mon quotidien et puis en faisant ce que je sais faire. Écrire pour essayer de comprendre, écrire pour dénoncer et j’essaie, depuis peu, d’écrire pour imaginer d’autres façons de vivre. Parfois, c’est surtout décourageant. Écrire une nouvelle dans une anthologie en faveur des réfugiés, se féliciter des fonds récoltés et réaliser que ce n’est même pas le coût d’une journée de sauvetage en mer pour SOS Méditerranée, c’est triste. Puis on se dit que c’est mieux que rien, que si chacun fait un peu, que si le livre continue de se vendre, que si la prise de conscience se fait collective, on a une chance de s’en sortir… Comment ne pas agir ?

M. : Et pour terminer avec une pointe d’ésotérisme, quels sont tes projets à venir et où pourra-t-on retrouver prochainement la Séancière, afin de se faire dédicacer un exemplaire de ses Confessions d’une Séancière, mais, surtout, d’avoir l’honneur qu’elle nous dise la bonne aventure (avec des dés) ?

K.S. : Les dés, je ne sais pas si je vais continuer. J’ai lancé ce jeu de divination avec des dés et je commence à avoir peur, parce que les gens me disent que ça marche.

Les Confessions d’une Séancière, le livre, est désormais dans les bonnes librairies, déjà disponible ou sur commande. Je veux croire que le livre se suffit à lui-même. Des rencontres sont en train de s’organiser, mais le calendrier n’est pas encore arrêté. Une soirée de lancement aura lieu le 17 novembre au restaurant Mam’ayoka, à Paris 18e, je serai aux Rencontres de l’Imaginaire de Sèvres, le 24 novembre, à Béziers le 19 janvier pour la nuit de la lecture, aux Imaginales qui ont lieu du 23 au 26 mai et à d’autres endroits qui seront annoncés sur le site internet de l’éditeur et sur mon blog.

L’anthologie SOS Terre et Mer continue à se vendre ici en version souple  et là pour la version luxe.

 

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