Le Crépuscule de Niobé – Le Zoo de Mengele II – Gert Nygardshaug

L’étonnant et foisonnant Zoo de Mengele racontait l’extraordinaire odyssée de Mino Aquiles Portuguesa, seul survivant d’un village d’agriculteurs massacrés jusqu’aux derniers, femmes et enfants compris, par les soldats de la dictature brésilienne. Roman initiatique, roman fleuve, thriller écologique, le  Zoo de Mengele  n’était pas pour autant dépourvu de poésie, et encore moins de magie. On s’en souvient : en s’élevant contre les destructions infligées à la planète, Mino Aquiles Portuguesa s’attaquait à des entités bien trop puissantes pour lui, et finissait par le payer de vie. Mais peut-on réellement mourir quand, jeune orphelin, on a connu la magie de la jungle et senti sur soi le souffle du dieu-jaguar ?

On pouvait donc s’attendre à une suite, ce qui n’est pas exactement le cas. Le Crépuscule de Niobé est avant tout un roman indépendant, que l’on rattacher au Zoo de Mengele par une partie des thématiques développées et par la réapparition de Mino Aquiles Portuguesa en tant que personnage secondaire.

De la même manière que Le Zoo de Mengele décrivait, en un vaste fresque romanesque, les premières décennies de l’existence de Mino Aquiles Portuguesa, Le Crépuscule de Niobé apparaît comme l’odyssée de Jens Odler Flirum, un norvégien à l’existence et au destin peu communs. Deux personnages d’origine défavorisée appelés à découvrir le monde et à en changer la face, deux rebelles, deux révolutionnaires qui ont entre eux plus d’un point commun.

« Sans alcool ni ivresse, il allait devoir s’inventer un fil, et tant pis s’il tissait la toile d’une mygale ; il lui fallait crée une histoire qui lui permettrait de chercher une racine, qui lui montrerait la graine telle qu’elle aurait pu être. »

Constitué de cinq parties distribuées selon un ordre qui ne suit pas la chronologie classique (le dernier volet suit le premier, le quatrième suit le second qui lui-même suit le troisième), le roman intrigue, interpelle, interroge.

La première partie décrit l’échec de Flirum, alors quarantenaire, à rallier secrètement le Portugal depuis l’Angola. Ses amis sont tués, il survit, prisonnier d’une de ces factions sans nombre qui sur le territoire européen se déchirent et s’affrontent. On le comprendra par la suite, il s’agit de la fin du roman.

La troisième partie, dans l’Europe contemporaine, celle que nous connaissons, revient sur la jeunesse du héros, un misérable loser norvégien de dix-sept ans qui a abandonné très tôt l’école et n’a jamais rien fait d’autre que boire des bières et fumer des cigarettes. Incarcéré pour une durée de douze ans en raison d’un crime qu’il n’a pas commis,  Jens, subitement sevré de la bière qui, comprend-on, l’aurait empêché de penser, se met à voir la face cachée des choses, ou plus exactement la face cachée du langage. La réalité de l’état des pays d’Europe derrière les discours politiques, la réalité de l’Histoire derrière les phrases des chroniqueurs. Une acuité mentale nouvelle qui lui permet de comprendre les ressorts dissimulés du monde et qui lui permet bientôt, dans une vaste frénésie de lecture, de se forger une culture encyclopédique et critique. Libéré sur le tard, innocenté grâce à la confession des véritables assassins, somptueusement défrayé par l’état norvégien pour son incarcération injustifiée, Jens pourra débuter une existence nouvelle.

« Ici, nous avons un dieu dans chaque arbre ; chaque feuille contient une bible entière. Les bonnes sœurs, crédules comme pas deux, ne nous connaissaient pas, nous, les Sukuruki, et quand elles ont finalement compris qui nous étions, elles sont reparties. Mais elles ont laissé derrière eux leur Jésus-Christ, comme si nous avions besoin d’un homme mort depuis si longtemps. »

Cette existence nouvelle, c’est celle d’un individu conquis par l’écologisme scientifique qui, grâce à sa fortune nouvelle, s’en va créer au Brésil un institut scientifique dévolu à l’indentification, la préservation et l’étude de la diversité botanique de la jungle amazonienne. Flirum, installé au bord du fleuve en compagnie des amérindiens Sukuruki, étudie, collecte, et constate effaré les tentatives des multinationales pour exploiter, dévaster et déforester au mieux ces territoires. Mais il n’est pas au bout de ses surprises et découvrira des manipulations bien pires encore.

« Les ombres lumières se multipliaient et flottaient partout dans le village. Les hommes et les femmes tendaient leur main en l’air pour prendre ce qu’ils désiraient. »

Les lecteurs les plus exigeants pourront à juste titre  faire la fine bouche sur certaines facilités ou naïvetés scénaristiques (même à l’époque ou le roman a été écrit, le screening systématique des biomolécules étant depuis longtemps pratiqué par les firmes pharmaceutiques, l’entreprise du héros ne pouvait apparaître comme novatrice ; les passages en relation avec l’avion et son combustible apparaissent bien peu crédibles et très artificiellement amenés, ) où noter que les personnages secondaires, par exemple les membres de l’institut créé par Flirum,  sont insuffisamment développés pour donner l’impression d’exister, il n’en reste pas moins que malgré sa structure éclatée et la diversité des thèmes abordés, Le Crépuscule de Niobé emporte sans peine le lecteur.

Dense et prenant, Le Crépuscule de Niobé ne rechigne pas à une petite pointe de fantastique, ici et là, comme en passant. Les pouvoirs de la forêt et du jaguar ; des poissons capables de faire couler un fleuve à rebours ; un arbre dont la chute du fruit entraîne une nuit noire sans lune au cours de laquelle les esprits des morts se mêlent à ceux des vivants. Et l’on assiste ici et là à des apparitions impossibles, qu’elles soient symboliques comme ce corps du christ apporté dans une petite tribu amérindienne, ou amusantes comme cet avatar de Stephen Hawking dans une geôle des temps futurs ou encore cet Elvis Presley sortant de la jungle près de trente ans après sa disparition.

Riche, éclectique, truffé d’anecdotes relatives à des auteurs ou des philosophes comme Sartre ou Thomas Mann (certaines d’entre elles sans doute apocryphes) convoquant, sous forme d’apparitions, des naturalistes comme Wallace, Henry Bates, et bien d’autres, Le Crépuscule de Niobé poursuit donc dans la même veine la vaste fresque écolo-fantastico-poétique du Zoo de Mengele. Un ouvrage comme on aimerait en lire plus souvent, en attendant la fin de l’histoire de Flirum et de Portuguesa, qui se poursuivra dans un troisième volume intitulé Le Bassin d’Aphrodite.

Le Crépuscule de Niobé
Gert Nygardshaug
Traduit du norvégien par Hélène Hervieu et Magny Telnes-Tan
Couverture : Nicolas Galy
Collection Nouveaux Millénaires (2015) ou thrillers (2016)Editions J’ai Lu

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