Krystal

KrystalTout en un

La collection des Intégrales est un pilier des XII Singes, une série d’ouvrages ayant grandement contribué à l’identité de cet éditeur – au même titre que ses Clés en Main. Le principe en est simple : en un pack, le rôliste trouve un jeu de rôle tout-en-un idéal pour se lancer dans un nouvel univers en étant sûr d’avoir tout ce qu’il faut sous la main. Deux livrets fournissent ainsi tout le nécessaire : le premier présente l’univers et les règles (un dérivé du dK System) de façon à être accessible aux joueurs, tandis que le second – réservé au meneur de jeu – comporte les secrets et une campagne. Un écran complète le tout et une Intégrale est ainsi un jeu de rôle complet pouvant se suffire à lui-même mais pour lequel il est également possible de produire du suivi.

Ce format permet d’explorer de nombreux genre, comme l’ont prouvé les précédents opus de la collection : une révolution française mystico-uchronique avec Khaos 1795, l’enquête occulte avec Nécropolice, le space opera avec Mahamot, l’inclassable avec Every Day is Halloween, etc. Et avec Krystal, c’est cette fois le post-apocalyptique qui est à l’honneur !

Mad Max

Nous sommes trois cents ans après le Clivage, une catastrophe dont personne ne connaît la cause mais qui changea totalement la face du monde. Là où jadis l’homme dominait la nature – voire la détruisait à petit feu –, désormais le rapport de force s’est inversé. Les terres sont recouvertes d’une flore corrompue, d’une faune agressive et tout est devenu toxique. Même les saisons ont été grandement altérées. Pollution et mutations ont rendu la Terre invivable – à l’exception de quelques endroits.

Les enclaves sont en effet les derniers bastions de l’humanité. Situés sur les sites des villes de jadis, les survivants s’y terrent et essaient de mener leur vie vaille que vaille – entre famine, assaut de créatures contrefaites, rivalités politiques, etc. La technologie a bien reculé et seules quelques inventions ont pu subsister – souvent guère plus que de la récupération.

Pourtant depuis quelques années, l’espoir renaît. Tout d’abord, une religion nommée la Congrégation assure le lien entre les différentes enclaves et prodigue des paroles d’apaisement, un enseignement destiné à élever l’humanité, à l’encourager à ne pas s’incliner face à une nature devenue folle. Mais également, certains humains se réveillent un jour investis d’un statut nouveau : celui de Héraut. Dotés de pouvoirs fabuleux grâce à leur harmonie avec un cristal, ils sont immunisés à la toxicité du monde en dehors des enclaves et peuvent ainsi voyager de ville en ville pour apporter leur aide. Car les Hérauts ont surtout le don de purifier la nature en créer des Havres : des zones décontaminées où faune et flore redeviennent telles qu’elles étaient avant le Clivage.

Les joueurs sont donc invités à interpréter ces Hérauts – des émissaires de l’espoir dans un monde pourtant sombre et dangereux. À ce stade déjà, Krystal marque sa différence avec le genre auquel il appartient : dans le post-apocalyptique classique, on interprète le plus souvent des survivants plutôt individualistes, tournés vers eux-mêmes ou leur communauté. Dans cette Intégrale, les personnages sont altruistes par définition et porteurs d’un espoir : l’apocalypse n’est plus une réalité avec laquelle il faut composer mais une adversité qui peut être vaincue. L’ordre ancien peut être restauré – doit être restauré ! Cette petite touche optimiste est une graine d’originalité que Krystal s’emploie à faire fructifier tout au long de ses textes.

Un loup pour l’homme

Pour autant, le jeu n’est pas naïf. Le premier livret s’emploie ainsi à décrire de nombreuses enclaves européennes (le reste du monde n’étant pas connu) : Carcassonne, Genève, London, Roma, etc. Au sein de chacune de ces cités, l’humanité vit comme elle l’a toujours fait – avec tout ce que cela implique de conflit. En effet, l’homme reste égal à lui-même : le pouvoir est sa préoccupation majeure. La politique est toujours présente et les intrigues se tissent dans l’ombre des enclaves. Dirigeants, membres de la Congrégation, soldats… chacun essaie de s’approprier les miettes du pouvoir, même si celui-ci ne doit s’appliquer qu’à des populations restreintes.

Les Hérauts sont la lueur au milieu de ce complotisme mortifère. Ils sont la preuve que l’humanité doit se serrer les coudes pour aller de l’avant et reconquérir son monde. Pour cela, ils sont acceptés et admirés comme des héros… ou subissent la méfiance et les coups fourrés de ceux à qui ils font de l’ombre. Chacune des enclaves décrites possède son identité et le meneur de jeu peut ainsi varier les ambiances et les scénarios selon la ville traversée par les Hérauts.

Les textes sont ainsi bien organisés – selon l’esprit pratique que l’on retrouve dans presque tous les jeux des XII Singes – et bien écrits, sachant convoquer des images parlantes et dresser les portraits des multiples protagonistes auxquels les joueurs auront à faire. Le contraste entre le statut des Hérauts et les nids de vipères que sont certaines enclaves marque encore plus l’identité de Krystal.

Moteur diesel

Comme toutes les Intégrales, Krystal utilise le dK system – un lointain dérivé du d20 system.

Les personnages y sont définis par six caractéristiques et de nombreuses compétences, ainsi que leur appartenance à une « classe » : dans Krystal, un profil selon la caste ou le métier (combattant, ouvrier, dirigeant, paria, initié, etc.). Des Atouts permettent de faire des personnages de véritables Hérauts : il s’agit des pouvoirs dont ils sont dotés et qui les placent au dessus du commun des mortels. Leurs effets sont variés et différencient chaque personnage.

Dans ce système, on lance un D20 auquel on additionne le score de la compétence modifié par les deux caractéristiques dont elle dépend. Si le résultat dépasse la difficulté, l’action est réussie. À cela s’ajoute la mécanique du dKrystal : une réserve de D6 utilisables par les joueurs et qui ajoutent leur résultat à celui du D20 (seulement s’ils font 3 ou 6) – mais qui peuvent aussi déclencher une catastrophe appelée choc-Krystal. Post-apocalyptique, Krystal intègre également quelques règles pour gérer les voyages hors des enclaves (dangereux, forcément) et la rareté des objets (dans un monde où tout vient à manquer).

Le dK system fonctionne, il reste simple et adaptable mais on peut être rebuté par son côté générique – Krystal aurait peut-être mérité des règles plus profondément ancrées dans sa proposition ludique, mais le format Intégrale fonctionne ainsi. Au moins ce système est-il solide et éprouvé, à défaut d’être original ou inspirant.

Sous le voile

Le second livret donne au meneur de jeu toutes les clés de l’univers. Ainsi, il dévoile le secret du Clivage : une explication à connotation shamanique (voire un peu new age) qui évite l’écueil du kitsch en restant sobre et suffisamment classique. Pas de grosse surprise ou de twist qui retourne le monde mais une explication solide et ludique – qui permet de lier le Clivage, la Congrégation et les Hérauts en un tout cohérent.

Les autres secrets concernent les différentes enclaves : tout ce qui se cache dans les coulisses, les desseins secrets des individus décrits et les diverses zones d’ombre éclaircies. Des mystères directement utilisables dès lors que les personnages œuvrent dans l’enclave concernée – mystiques, politiques, religieux, il y en a pour tous les goûts et leur mise en œuvre permet d’ancrer Krystal dans un certain réalisme survivaliste (l’homme restant le plus grand de tous les dangers).

Un petit bestiaire présente au meneur de jeu quelques créatures que les Hérauts pourront affronter, ainsi que les pouvoirs auxquels elles ont accès. De quoi fournir une opposition aussi musclée qu’imagée (certains monstres ont des noms et des descriptions très originales). Sont dévoilés également les Hérauts du Tourment, ceux qui ont sombré dans le côté obscur…

Enfin, une campagne plutôt ambitieuse – titrée « Renouveau » – conclut ce livret. Composée de cinq scénarios très didactiques, elle promène les personnages à travers le Sud de la France où ils devront résoudre diverses situations et, à terme, purifier une large région – s’ils se montrent bien sûr à la hauteur.

À noter que ce second livret comporte une carte détachable de l’Europe de Krystal en son centre.

Vers l’été

Krystal est une excellente Intégrale – un excellent jeu de rôle. L’univers est inspirant : sur un canevas assez classique (du post-apocalyptique « vert » façon Vermine ou Summerland), il apporte une touche bien à lui via l’espoir que véhiculent les Hérauts interprétés par les joueurs. Cet optimisme particulier se marie très bien avec l’âpreté de l’environnement décrit (un monde où même l’air est toxique) pour fournir un contexte de jeu contrasté, dur mais pas désespérant. Un avenir meilleur est possible et les personnages en sont à l’avant-garde.

Bien écrit et bien pensé, Krystal bénéficie également d’une touche graphique très agréable. La maquette est claire, les illustrations (peu nombreuses hélas) tout à fait dans l’ambiance et l’écran de jeu est de toute beauté.

En conclusion, si vous appréciez le format des Intégrales ou qu’un post-apocalyptique un peu différent vous tente, Krystal est un achat fortement conseillé. D’autant que s’il s’agit d’un tout-en-un, l’univers est suffisamment riche et bien décrit pour permettre d’aller plus loin dans les aventures une fois la campagne « Renouveau » terminée. Pour preuve, l’auteur assure déjà un suivi gratuit sur le site des XII Singes : scénarios et aides de jeu en PDF. De quoi vous encourager à vous lancer à la découverte de cette Europe polluée et hantée de créatures monstrueuses, mais au sein de laquelle brille également une lueur d’espoir.

Krystal

Un jeu édité par les XII Singes

Deux livrets de 80 pages et un écran à 4 volets

35 €

 

Trois questions à Jérôme Barthas, auteur de Krystal

eMaginarock (M) : Krystal est un post-apocalyptique assez atypique. D’où est venue l’envie d’ajouter une telle touche d’optimisme dans ce genre plutôt nihiliste ? Et quelles en furent les inspirations ?

Jérôme Barthas (JB) : L’envie est venue d’un goût tout à fait personnel. En jeu de rôle, l’une des choses que j’apprécie, c’est de pouvoir m’évader et rêver. J’ai des difficultés à jouer dans les univers sombres et désespérés. Pourtant j’aime l’idée du post-apocalyptique : c’est un genre qui permet de construire ce que l’on veut sur les ruines du passé et où l’on peut jouer avec les codes et les lieux d’aujourd’hui pour les revisiter autrement. Généralement, les univers du genre se concentrent sur la survie dans un monde où c’est du « chacun pour soi » (à la Mad Max ou The Walking Dead). Krystal est parti d’une volonté de créer un jeu post-apocalyptique qui me convienne, qui soit tourné vers l’espoir et l’entraide, plutôt que vers le survivalisme.

Les inspirations ont été nombreuses et sont notamment liées à des éléments visuels qui m’ont marqué. Les principales inspirations sont deux films et un jeu vidéo. Les deux films sont des animés de Miyazaki : Nausicaä de la Vallée du Vent et Princesse Mononoké. Dans ces deux œuvres, la nature joue un rôle majeur (et même surnaturel dans Princesse Mononoké). Le jeu vidéo, c’est Okami – où l’on se déplace sur des terres corrompues que l’on régénère. Tous ces éléments ont inspiré la création de Krystal, nous avons essayé de distiller de la poésie et de la magie dans le genre post-apocalyptique.

M : On a vu d’autres Intégrales se doter de suivi : Nécropolice ou BIA notamment. En sera-t-il de même pour Krystal ? Qu’est-il prévue et sous quelle forme ?

JB : Oui, un suivi est prévu ! Il y a actuellement deux formats :

Les Éclats de Krystal : des aides de jeu en PDF d’une page, qui proposent du contexte pour le meneur de jeu. Il y a déjà deux index parus (un sur les atouts, un autre sur les PNJ), il va y avoir de nouvelles enclaves décrites de manière succincte, des groupuscules, des personnages importants… L’objectif est de fournir par petites touches du contexte, au-delà du livre de base.

Les Carnets d’Europe : ce sont des suppléments qui feront au minimum une dizaine de pages A5 – à la manière des Bréviaires de Trinités ou des Chroniques d’Anaon pour Tenebrae. Le premier Carnet d’Europe est disponible sur le site des XII singes. Il s’agit d’un guide pour la campagne. Les suivants proposeront des scénarios indépendants ou des campagnes, pour que les meneurs de jeu puissent prolonger l’aventure au-delà de la campagne proposée dans le livret des secrets.

Concernant d’éventuels suppléments papiers, il est encore trop tôt pour savoir s’il y en aura, mais ce n’est pas exclu.

M : Après Krystal, quels sont tes futurs projets ?

 JB : Mon temps libre est déjà bien rempli avec le suivi sur Krystal et la suite de Trinités !  Ceci dit, j’ai rejoins Jérôme Larré (qui sévit aussi sous le nom de Brand) sur un projet pour Lapin Marteau. On en est encore aux balbutiements mais on a jeté les bases et c’est vraiment prometteur. Je ne peux pas encore en dire plus pour l’instant, mais c’est un projet vraiment intéressant et j’espère qu’on pourra bientôt en dévoiler plus.

Pour les liens sur Krystal :

Les Éclats de Krystal sont dans la section Télécharger de cette page : http://www.les12singes.com/integrales/88-krystal.html

– Le premier Carnet d’Europe est là : http://www.les12singes.com/krystal/103-carnet-d-europe-1.html

 

Propos recueillis par Romain d’Huissier

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