La mémoire de l’orchidée – François Fierobe

François Fierobe est nouvelliste et vous l’avez certainement lu dans des revues de l’imaginaire ou dans des anthologies. C’est dans ce deuxième support que je l’ai découvert et son nom n’a pas quitté mon esprit tant j’avais trouvé qu’il faisait preuve d’un grand talent dans ses textes. Lorsque j’ai découvert que son premier recueil était édité par La Clef d’Argent dans leur collection KholekTh,  je n’ai pas hésité un instant pour l’obtenir. Dès la quatrième de couverture, vous êtes projeté dans son univers si particulier et intrigant :

«Déjà m’étreignait la nostalgie du monde de l’orchidée, de son éventail de teintes impensables, de sa beauté, de son harmonie. Il n’y avait dans ce regret, qui devait longtemps perdurer, aucune trace de dépendance, simplement une impression de perte esthétique, la difficulté que l’on éprouve à s’arracher parfois d’un horizon, d’un tableau, d’un visage.»
Authentique cabinet de curiosités littéraire, ce précieux volume vous familiarisera avec les mille et une merveilles de la Surnature: les infatigables anomalines et leurs cousines les récurrines; les inamovibles semperfixines; l’octaèdre entropique; le sablier perpétuel; la cagoule anthropophage; le fauteuil létal; la machine à reproduire les aurores boréales; sans oublier les abominations domestiques de la Brocante aux Fantômes; ou encore l’Erythrodes octopus – ou pieuvre rouge – fascinante orchidée qui donne son nom à ce recueil. Mais prenez garde: l’irruption de l’inconcevable dans le monde concret, l’émergence de l’irrecevable dans le quotidien, mènent au vertige de l’infini et de l’incommensurable. Parfois hilarantes, souvent épouvantables, ces apparitions nous confrontent à l’insondable mystère de tout ce qui fait ce que nous sommes ou ce que nous croyons être.

La mémoire de l’orchidée rassemble neuf textes de François Fierobe qui ont l’originalité d’être regroupés trois par trois dans trois univers différents. A une exception près, nous avons affaire à des inédits et cette exception n’est autre que La mémoire de l’orchidée qui est la première de la série des Archives du club sans nom. Dans cette nouvelle, nous suivons un membre dudit club à qui on transmet un secret concernant une orchidée exceptionnelle, la pieuvre rouge. Une nouvelle fabuleuse, au vocabulaire d’une richesse étourdissante où l’auteur a su réussir le tour de force d’user avec mesure de tous les termes relevant de la couleur rouge. Une de ces nouvelles qui vous fait dire dès l’entame d’un recueil que vous ne vous êtes pas trompé en l’acquérant et que les littératures de l’imaginaire sont parfois de la littérature à part entière. Une méditation chez Darwin nous conduit à nouveau dans ce club sans nom où cette fois un homme découvre l’annonce de sa mort dans le Times. Une nouvelle certes classique, mais dont le ton et la pirouette finale reflètent parfaitement l’esprit de ces clubs britanniques où se côtoient le flegme, la passion des bonnes choses et d’authentiques gentlemen. Enfin l’auteur nous invite à parcourir La ruelle aux empuses où deux membres du club se sont introduits pour y découvrir une autre réalité. J’ai adoré retrouver ici l’ambiance à la Conan Doyle de ce Londres aux multiples mystères que François Fierobe a su restituer.

Puis ce sont les trois nouvelles d’Artefacts et singularités qui nous sont proposées. La première s’intitule Géométries caniculaires de Rascanges. Derrière ce titre, énigmatique à souhait, se dissimule en fait un mémoire où est évoquée la quête de Jens Tlabart. L’homme a passé sa vie à la poursuite des objets étranges et merveilleux qu’il a lui-même baptisé géométries caniculaires. Leur origine, leur inventaire et leurs caractéristiques propres ont été sa seule obsession. Nous découvrons ainsi des objets au nom aussi étrange que leurs propriétés sont surprenantes telles les anomalines ou les semperfixines. Une nouvelle d’une grande créativité et d’une drôlerie extrême. Dans Le Bureau des Objets Maudits, nous sommes dans les traces du narrateur qui nous conte son passage dans l’étrange cité de Rascanges. Il y découvre une boutique qui porte de nom de Bureau des Objets Maudits, il entre et là un homme lui raconte l’histoire du lieu. S’en suit une énumération d’objets tous plus extraordinaires les uns que les autres. Une nouvelle riche avec de belles inventions, peut-être trop. Personnellement, à moins que le lieu ait sa propre protection, je ne comprends pas pourquoi l’heureux propriétaire n’est pas moribond – dans le meilleur des cas – avec une si maléfique collection. Dans La Brocante aux Fantômes, le narrateur nous raconte comment, au hasard d’un arrêt ferroviaire et technique, il se retrouva dans une cité aux boutiques étranges et comment il passa l’huis d’une d’entre elles où on lui proposa divers articles et reliques pouvant invoquer des fantômes. Il existe peu de doutes que ladite cité ne soit Rascanges. Toujours est-il que nous sommes, une fois encore, confrontés à une énumération, toujours inventive et écrite d’une belle plume avec quelques images saisissantes qui peuvent naître dans l’esprit du lecteur.

Suit une série de trois courts textes réunis sous le titre d’Estaminets et sortilèges. Chassé-croisé au café Dante, le premier d’entre eux, vous laissera un goût de déjà-vu, mais je ne peux vous en dire plus. Sur La terrasse des âmes perdues, vous croiserez une vieille connaissance. Une nouvelle très courte, mais bien menée et dérangeante à souhait. Enfin, A l’enseigne du Curé Vert, vous explorerez cette terreur humaine qu’est celle de la mort. Plus exactement, vous écouterez ces récits de gens qu’on croit morts, qu’on enterre, et qui se réveillent ensuite. Une nouvelle dont la fin est déroutante et absolument jubilatoire. Ces trois derniers textes nous présentent, dans leur brièveté, toute la palette des talents de l’auteur. Il convient de mettre à l’honneur Sébastien Hayez qui a illustré la couverture de ce recueil et nous a représenté une orchidée qui relève aussi bien de la pieuvre que du réseau neuronal, réalisant ainsi une illustration parfaite de la première nouvelle éponyme à cet ouvrage.

Au final, comme je l’ai évoqué dans mon introduction et réitéré au fil de cette chronique, je vais reformuler une dernière fois ce que je pense de François Fierobe : nous avons affaire ici non à un nouvelliste de fantastique, mais à un vrai écrivain. Un homme qui prend du temps pour bien écrire et quand les mots sont bien choisis, les phrases bien agencées, alors les histoires déjà belles deviennent inoubliables et le plaisir du lecteur est décuplé. L’imaginaire, le style, le vocabulaire de cet auteur m’ont réellement séduit lorsque je l’ai lu pour la première fois et, avec ce recueil, c’est assurément un florilège de belles lettres que j’ai eu le plaisir de parcourir. Pour autant, ce recueil n’est pas exempt de ce que je qualifierai de défauts. Je n’ai jamais apprécié les longues descriptions ni les inventaires qui durent et font tomber tout intérêt malgré le talent de l’auteur. Il faut reconnaître que c’est annoncé en quatrième de couverture, et que c’est le propre des cabinets de curiosités. De même, il pourra être reproché un vocabulaire trop riche par rapport à la grande majorité des lecteurs ainsi que des phrases d’une rare longueur. Je reste cependant séduit par l’aisance dans l’expression où l’on ressent le travail méticuleux de l’auteur. Globalement je ne peux que vous recommander chaleureusement ce recueil, qui espérons-le, ne saurait être le dernier de cet auteur au talent rare.

La mémoire de l’orchidée
François Fierobe
Couverture illustrée par Sébastien Hayez
La Clef d’Argent
Collection KholekTh
2012

12,00 €

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