Wicked Game – Le Sang du Rock, 1 – Jeri Smith-Ready

Depuis quelques mois court une étrange rumeur. Les éditions Milady auraient, dit-on, publié un roman de bit-lit qui ne serait pas que de la bit-lit. Un roman qui pourrait être lu par d’autres entités que les adolescentes enamourées de beaux ténébreux, les jeunes filles naviguant entre fantasmes romantiques et rêveries morbides, les punkettes gothiques, ou les demoiselles Bovary à la recherche de nouveaux frissons. Bref, un roman de bit-lit qui serait autre chose qu’un très pâle roman de littérature sentimentale – pâle, car vidé de son sang par quelque vampire opportunément inséré par un habile service marketing. Une telle rumeur méritait assurément que l’on se décide à aller voir de plus près.

Le directeur d’une station radio en faillite, en passe d’être rachetée par une chaîne de radios purement vénale et sans âme, engage une toute jeune fille pour son service commercial. Un recrutement opportun : non seulement elle regorge d’idées, mais, en digne héritière d’un père atteint d’une penchant incoercible pour l’escroquerie, elle est aussi une véritable arnaqueuse née. Et quand elle découvre que les membres de la station de radio sont d’authentiques vampires, elle ne manque pas d’y voir une opportunité unique : révéler leur véritable nature pour faire un tabac et sauver la station, en sachant pertinemment que le public jouera le jeu sans vraiment y croire.

Notre héroïne, qui est quelque peu prédisposée – elle se gave de romans de vampires « comme s’il s’agissait de chips à l’héroïne » mais est par ailleurs tellement sensible qu’elle « a besoin d’une anesthésie rien que pour aller chez le coiffeur », ne manquera pas de subir le charme de ces vieux – et surtout moins vieux – vampires. De leur étrange particularité – les buveurs de sang, mentalement figés à l’époque où ils ont été métamorphosés en morts-vivants, peinent grandement à s’adapter et vivent dans un passé révolu – elle fera un atout musical de choix. Et la lutte opposant la station de radio vampire à la grande chaîne voulant à tout prix la racheter pourra vraiment avoir lieu.

Pour autant, le roman ne néglige pas l’action, sous forme d’un conflit avec un groupe de vampires survivalistes qui voit d’un mauvais œil – et d’un mauvais croc – l’étalage de la nature vampirique des DJs, même si bien entendu personne n’y croit. Les survivalistes, terrorisés à l’idéer que les animateurs de la station de radio puissent être pris au sérieux, sont prêts à tout pour éviter le moindre risque. Y compris à tuer leurs propres congénéres.

Fantastique et musique pop : « Le Sang du Rock » ne pouvait négliger deux éléments classiques et récurrents situés à l’étrange frontière entre blues-rock et légendes. Deux éléments – abordés entre autres par Jean-Pierre Favard dans son astucieux roman « Sex, Drugs and Rock’n Dole » – , que sont les décès en série de musiciens à l’âge de vingt-sept ans, et le carrefour mythique où le bluesman Robert Johnson aurait, en échange d’une virtuosité surnaturelle, abandonné son âme au diable. Cette dernière légende est à l’origine d’un des plus beaux chapitres de « Le Sang du Rock », où un vieux vampire, se produisant sur scène, en rapporte une variante particulièrement élégante.

Une idée originale, des caractères bien vus, des dialogues souvent enlevés, de l’arnaque, de l’humour, de l’action : ce roman possède donc de nombreux arguments pour séduire. Si, avec « Le Sang du Rock », la bit-lit n’a toutefois pas entièrement conquis ses lettres de noblesse, force est de constater que les rumeurs disaient vrai : ce premier opus traduit en France de Jeri Smith-Ready peut-être lu sans lassitude, et même avec un certain amusement, par d’autres créatures que les adolescentes romantico-morbides. Les amateurs d’un fantastique plus dense, moins systématiquement codé, moins systématiquement ciblé, pourront se distraire de cet opus assez « rock’n’roll » On aurait certes aimé quelque chose d’un peu plus tendu, d’un peu moins « romance » – les scènes érotico-romantico-sanguines reviennent assez régulièrement – mais cela n’aurait plus été de la bit-lit. Il semble donc, en définitive, que Jeri Smith-Ready, en se positionnant à la marge du genre, ait réussi à en élargir, au moins potentiellement, le public. Suffisamment, en tout cas, pour que l’on aille d’ici peu goûter à « Bad to the Bone », second volume consacré à la très improbable WVMP, la seule station radio au monde animée par de véritables DJs vampires.

Jeri Smith-Ready

Le Sang du Rock (Wicked Game, tome I)

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sébastien Baert

Couverture : Anne-Claire Payet

Milady,

8,70 euros

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