Entretien avec Olivier Paquet, auteur du roman Les Loups de Prague (L’Atalante)

eMaginarock.fr : Bonjour Olivier, et bienvenue sur eMaginarock. Tu es l’auteur de plusieurs romans dont le dernier Les Loups de Prague m’a réellement séduit. Pourrais-tu te présenter à nos lecteurs ?

Olivier Paquet :  A part le fait que j’enseigne la science-politique, j’ai de multiples activités.  Je donne un cours sur la science-fiction pour des élèves ingénieurs, par exemple, mais je suis aussi chroniqueur à France Culture pour l’émission Mauvais Genres, où je parle des mangas depuis 2003.  Sinon, j’ai commencé à être publié en 1998 dans la revue de science-fiction Galaxies. Cela fait donc un petit moment que j’écris.

M.net : Les Loups de Prague est un roman de science-fiction qui vient de sortir chez l’Atalante. Pourquoi avoir choisi Prague comme centre de ton action ? Comment t’es venu cette idée, d’une ville dotée d’un système immunitaire ?

O.P. : Ma thèse de sciences politiques portait sur la Tchécoslovaquie de l’entre-deux-guerres, j’ai donc séjourné à Prague pour mes recherches.  Cette ville est très différente selon qu’on est touriste ou qu’on y travaille. Et j’ai rapidement saisi ce que voulait dire Kafka sur Prague : la matička (petite mère) a des griffes. C’est de cette phrase que sont nés les Loups d’une part, et la ville comme organisme vivant. C’est une façon de retranscrire l’atmosphère parfois étouffante de cette ville magnifique.

M.net : D’où te viennent les personnages dont tu contes l’histoire ? Te bases-tu sur des personnalités réelles ou bien les imagines-tu de toutes pièces ?

O.P. : Le personnage central, Miroslav Vlk, est né d’une idée. Je cherchais à créer un personnage monstrueux, psychologiquement. Dans le quotidien, nous avons la conviction d’être des individus complexes, ou en tout cas difficiles à saisir. C’est un moyen de défense qui nous permet d’accepter les autres (« je sais que tu n’atteindras jamais ce que je suis en vérité ») quand on craint qu’ils vous agressent. Aussi, Miro est un monstre parce qu’il suffit d’un regard de lui pour vous décoder, et tout connaître. Vous êtes nus face à lui et c’est angoissant. Dans le même temps, et c’est comme cela que sont nés Ysengrin, Plume, Fenris et les autres personnages, comment aimer une telle personne ? Miro est à la fois un individu charismatique et distant. Comment peut-il s’intéresser à des gens qu’il connaît parfaitement en un instant. Mes personnages existent principalement par rapport à Miro, il est le centre autour duquel ils gravitent. Mais ce n’est pas un soleil chaleureux.

M.net : L’ensemble de la fresque décrite dans Les Loups de Prague est empreinte d’épique tout en parvenant à faire agir l’essentiel des protagonistes dans l’ombre. Comment as-tu réussi à gérer ces questions de rythme ?

O.P. :  Pour l’essentiel, quand j’écris, je ne fais pas de plan. J’ai des passages obligés, mais rien de rigide. La structure du roman est aussi fluide et implacable que le fameux « plan » de vengeance de Miro. Ensuite, je crois qu’il y a deux trames principales dans le roman. La première autour du conflit entre la Guilde du crime et l’armée, avec tout ce que cela comporte de trahisons et d’actions. La seconde autour de Miro et de sa fille. Je pense que le fait de balancer d’une trame à l’autre donne la respiration au roman. Enfin, dans la première version du texte, toute la partie en flashback (ce qui se déroule 8 ans avant) constituait un seul premier chapitre de plus de 100 pages ! A un moment, j’ai choisi de disloquer ce chapitre et de voir si je ne pouvais pas le répartir au fur et à mesure. Ce que je trouve intéressant, c’est que certains éléments ainsi dispersés ont été mis en relief par ce procédé, alors que dans la précédente version, le lecteur devait tout garder en mémoire, et l’on perdait un peu de vue l’intérêt d’avoir raconté cette origine.

M.net : On sent par moment l’influence manga qui anime ta plume, avec entre autres les armures métalliques des Loups qui font très « mécas » japonais issu d’un quelconque animé. Est-ce volontaire de ta part ou bien ne contrôles-tu pas ce genre de références ?

O.P. :  Oh, il y a même des références un peu plus précises comme les chars qui ont un lien avec le film Ghost in the Shell. Un ami auteur, Xavier Mauméjean, m’a rappelé qu’il y avait l’influence du film Jin-Roh, à la fois dans l’atmosphère et la manière de mettre en scène l’appartenance à une meute. Mon premier roman, Structura Maxima, avait beaucoup plus de références encore aux mangas. Je fais cela naturellement et plus ou moins consciemment. C’est ma culture narrative. J’adore comment les japonais savent raconter une histoire, faire ressentir les choses. J’essaie d’intégrer cet apport moins dans les références (qui, en général, s’arrêtent au niveau du clin d’œil, et ne sont pas un obstacle à la compréhension) que dans la manière d’écrire. J’aime bien chez ces artistes cette idée que l’on doit éliminer tout ce qui n’est pas essentiel à la narration, tout ce qui peut parasiter la lecture. Du coup, l’essentiel de mon travail joue sur les absences, sur ce qui n’est pas dit et qui transparaît dans les gestes, les atmosphères. C’est en cela qu’on peut dire que c’est un roman « manga ». Et pour ne rien gâcher, j’adore la littérature japonaise pour ces qualités-là aussi. Le plus dur, pour moi, c’est d’arriver à ne pas trop enlever, à trouver le bon équilibre. Il me faudra une vie d’écrivain pour le trouver, j’ai le temps !

M.net : Comment as-tu conçu l’organisation de la Guilde ? L’ensemble est à la fois très hiérarchisé et très naturel. Comment es-tu arrivé à cette organisation finale ? La Guilde faisait-elle dès le départ partie de ton scénario ?

O.P. : La Guilde n’était pas quelque chose de complexe à construire : j’ai pensé aux mafias, aux Yakuzas. Les films et la littérature sont de bons supports pour concevoir ce type d’organisation et les rapports entre leurs membres. J’avais un objectif très clair : rendre la Guilde à la fois fascinante et repoussante. Ce ne sont pas des Robins de bois, ils n’ont pas d’objectif politique autre que d’assurer leur pouvoir. Une fois ceci posé, je pouvais caractériser chaque clan, faire une véritable répartition du travail. Je ne voulais pas que les Loups soient des assassins, parce que les meutes chassent pour se nourrir, elles prélèvent. J’en ai donc fait des voleurs. Après, je savais que dans une meute, il y a un couple alpha, une hiérarchie, et je me suis ensuite demandé pourquoi des humains adopteraient une telle organisation. Le fait de limiter les naissances est une forme de pouvoir, un contrôle, et un besoin de survie, par exemple. Ce sont des déductions à partir d’hypothèses, et à plusieurs reprises j’ai été surpris parce que cela me donnait des réponses quand je bloquais. C’est toujours exaltant de constater que l’histoire, le monde que je crée est plus intelligent que moi, il a sa logique qui s’impose. Ca ne veut pas dire que la création s’échappe, mais que j’ai posé des bases suffisamment solides pour qu’elles deviennent autonomes et régulent la suite. Ca rend le travail d’écriture surprenant et vivant.

M.net : Comment ton roman est-il reçu pour l’instant ? Quelles ont été les premières critiques qui lui ont été faites ?

O.P. :  Le roman étant sorti fin février, il y a peu de critiques encore. Dans l’ensemble, l’accueil est bon. Un critique m’a reproché de ne pas avoir assez développé certains personnages, ce qui est un bon point à mes yeux. Cela montre que le lecteur s’est attaché aux seconds rôles et qu’il aurait voulu en savoir plus, mais le vrai héros du roman, c’est Miro, je ne pouvais pas développer plus les autres protagonistes sans risquer de l’amoindrir, lui. C’est pourquoi le journaliste Vaclav est un candide, un personnage naïf. Il permet de créer un contraste fort avec Miro. En plus, je voulais un personnage qui observe et ne parvient pas à saisir ce qui était important. Au final, il a loupé la vraie histoire, et cette situation me plaisait. Bref, pour l’instant, au niveau des critiques, je n’ai pas à me plaindre, le peu que je vois me montre que les lecteurs ont vu l’essentiel, qu’il n’y a pas d’incompréhension profonde.

M.net : Es-tu déjà en train  de préparer un ou plusieurs autres romans ? Si oui peux-tu nous donner quelques indices ?

O.P. : J’ai un autre gros projet dans mes cartons, et qui va passer en bêta lecture. C’est une histoire en trois parties qui décrit une société galactique vue à travers 4 personnages que l’on suit à 15, 30 et 45 ans. Je veux montrer comment une invention (la communication instantanée) bouleverse les individus, modifie leurs conceptions du monde.  Cette fois, le personnage qui est le centre du récit (en dehors des 4 humains), c’est un navire-université spatial. Un lieu de culture et de connaissances qui devient au fil du temps un enjeu entre de grands empires de communication. Mais tous ces enjeux sont vus vraiment à travers le quotidien des gens, et cela me permet de créer des dizaines de mondes différents. Je me suis beaucoup amusé avec ça, et beaucoup bataillé pour que tout cela paraisse fluide et le plus clair possible pour le lecteur. On verra bien si j’y suis parvenu.

M.net : Seras-tu présent sur quelques festivals ce printemps afin de rencontrer tes lecteurs ?Si oui où et quand ?

O.P. : Je serai présent au festival Zone France de Bagneux, les 5 et 6 mars, ainsi qu’aux Imaginales d’Epinal du 26 au 29 mai. Je ferai sans doute des dédicaces en librairies mais je n’ai rien de fixé pour l’instant

M.net : Merci d’avoir pris le temps de répondre à ces quelques questions.  As-tu un mot à ajouter pour nos lecteurs ?

O.P. : Je vais dire un truc qu’un auteur ne devrait pas dire. Si mon roman vous plaît, je vous conseille de le relire. Je suis à peu près certain que vous découvrirez des tas de détails nouveaux, et que vous aurez un autre regard sur ce que vous avez lu une première fois.

Entretien réalisé par Deuskin

 

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